Rigoletto à l'Opéra national du Rhin

Xl_rigoletto © Alain Kaiser / Opéra national du Rhin

Etrénnée au Festival d'Aix-en-Provence l'été dernier, cette production du Rigoletto de Giuseppe Verdi, signée par le (surproductif) metteur en scène (star) Robert Carsen, a emballé les uns, agacé les autres, et n'a en tout cas laissé personne indifférent. Comme souvent, le canadien transpose l'action dans l'univers du théâtre - qu'on se remémore son Don Giovanni ou encore sa Tosca ici même... -, et plus exactement dans l'univers du cirque, cette fois. Rigoletto apparaît ainsi déguisé en clown (« Cette idée de l'homme qui rit à l'extérieur mais qui pleure à l'intérieur » explique Carsen), sous un chapiteau (beau décor signé par son fidèle scénographe Radu Baruzescu), tandis que les courtisans du Duc sont répartis dans les gradins, tels des spectateurs-voyeurs. Car Robert Carsen force ici le trait : Rigoletto brandit ainsi de façon obscène sous leur nez une poupée gonflable, tandis que sur la piste du cirque des filles façon Crazy horse tournent en rond sous le fouet d'un dompteur-maître de cérémonie. Des images qui renvoient au « Traitement des femmes absolument terrible dans l'ouvrage de Verdi » commente encore Carsen, « Le duc en parle d'emblée comme d'une commodité physique, les femmes ne sont là que pour son plaisir sexuel » poursuit-il...

Le bouffon Rigoletto est incarné ce soir par le baryton roumain George Petean qui impressionne par son ample gamme de couleurs expressives, alliée à des aigus généreux et à une intense énergie dans l’accent. Le comédien s’avère par ailleurs superbe, conférant au rôle-titre une vive charge émotionnelle, notamment dans sa façon d’exsuder l’humanité de cet être difforme rongé par le remords. La rage vengeresse lui convient, cela dit, tout autant que la fragilité du père aimant, et le superbe air « Cortigiani, vil razza », entonné dans une effarante rage, nous a glacé le sang. Un grand Rigoletto !

Nathalie Manfrino incarne une frémissante Gilda. Grâce à une technique vocale hors-pair, elle parvient à alléger suffisamment ses moyens (la voix s’est considérablement élargie en quelques quelques années) pour instiller au célèbre « Caro nome » des tons délicats et des mezza voce veloutées. La lumière de ses aigus, son beau legato et enfin sa présence dramatique touchante de vérité émeuvent fortement, lui valant un beau succès personnel au moment des saluts.

Quant au ténor ukrainien Dmytro Popov, il assume avec une voix franche et vaillante (même trop...) le rôle du Duc de Mantoue, mais malmène le célèbre air « La donna è mobile » avec une émission par trop brouillonne. Enfin, dans les rôles secondaires, le Sparafucile de la basse russe Konstantin Gorny en impose autant par sa taille que par sa voix sonore et caverneuse, tandis que la mezzo britannique Sarah Fulgoni grimée en Amy Winehouse – offre ses opulents moyens à Maddalena.

Autre bonheur de la soirée, un Orchestre Philharmonique de Strasbourg dans une forme olympique, placé sous la direction fougueuse du chef italien Paolo Carignani. L'ancien directeur musical de l'Opéra de Francfort préserve habilement l’équilibre entre fosse et plateau, et installe, par ailleurs, un rythme et une cohérence dramatique à la partition de Verdi qui forcent l'admiration.

Emmanuel Andrieu

Rigoletto à l'Opéra national du Rhin

Jusqu'au 10 janvier 2014

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