Luisa Miller à l'Opéra Royal de Wallonie

Xl_luisa © Opéra Royal de Wallonie

Luisa Miller est l'un des opéras les plus étranges de Giuseppe Verdi. Reniant les thèses du Risorgimento qui lui avaient pourtant valu une immense renommée, le compositeur se tourne vers le Bellini de La Sonnambula et le Donizetti de Linda di Chamounix. Le drame bourgeois de Schiller Kabale und Liebe se transforme en une touchante histoire d'amour et de mort aux tonalités champêtres. Luisa, à son entrée en scène, s'exprime avec les accents d'Amina, et ses duos avec Rodolfo appartiennent au pathétisme larmoyant de Lucia. L'interprète du rôle-titre doit savoir traduire la double composante de celui-ci, fait d'abandons élégiaques à la Donizetti, de pichiettati à la Bellini, mais aussi de cabalettes autoritaires et fières, farouches et engagées. 

Nous retrouvons avec plaisir l'intelligente production qu'avait signé Jean-Claude Fall pour l'Opéra de Montpellier en 2000. Avec une belle économie de moyens, un plateau vide où seuls un ciel uniformément bleu et quelques troncs d'arbres dénudés évoquent quelque forêt méditerrannéenne, la mise en scène transpose l'action dans l'Italie du sud des années trente (en lieu et place du Tyrol du XVIe siècle du livret). Grâce à un judicieux système de vérins, le plateau se soulève au besoin pour montrer son envers et devenir un grand mur noir percé de deux meurtrières, suggérant le sinistre château où se trame la perte de l'héroïne. Côté direction d'acteurs, la gestuelle, les expressions et les déplacements sont aussi épurés que les décors, comme pour ne pas venir en surcharge sur les torrents émotionnels de la musique et du texte. Et puis, il y a cette superbe idée des quatre enfants, qui se glissent sans cesse dans un coin de la scène : ils y observent ce qui se passe et nous voyons ainsi le spectacle avec leurs yeux, ce qui rend la tragédie plus supportable, la fraîcheur de leur présence étant communicative.

C'est une superlative équipe de chanteurs-comédiens (à une exception près) qu'a su réunir, à Liége, Stefano Mazzonis di Palafrera, directeur de l'institution wallone. A commencer par le chanteur sexagénaire (sans qu'il n'en paraisse rien, tant vocalement que physiquement) Gregory Kunde qui mérite tous les éloges : acteur ardent et convaincu, il impose de Rodolfo un portrait inoubliable, angoissé, torturé par le doute et la jalousie. Sa prestation culmine dans un « Quando le sere al placido », délivré avec une voix gorgée de couleurs et de nuances, qui est accueilli par une spectaculaire ovation. Comédienne juvénile et prenante, telle qu'on la connaît, l'extraordinaire Patrizia Ciofi forme avec le ténor américain un couple proche de l'idéal. Si l'écriture du rôle excède parfois les possibilités naturelles de la soprano italienne, elle a l'intelligence de ne jamais forcer, en privilégiant au maximum les aspects lyriques de la tessiture. Au III, son merveilleux chant di grazia et ses messe di voci, soutenus par le sfumato du timbre, exercent tout leur pouvoir d'envoûtement et la salle entière l'écoute avec dévotion.

Le formidable baryton italien Nicola Alaimo subjugue également l'auditeur. De sa plénitude vocale, de sa musicalité sans faille, du velours de son timbre, de la noblesse du style, on ne sait qu'admirer le plus chez lui. Il incarne enfin, scéniquement parlant, un Miller d'une tendresse poignante. De son côté, la basse hongroise Balint Szabo campe avec beaucoup de conviction un Wurm particulièrement haïssable, malheureusement handicapé dans le duo « L'altro retaggio », par le Walter de Luciano Montanaro, à la voix charbonneuse et à l'émission fort peu orthodoxe. De Federica, la mezzo italienne Cristina Melis possède non seulement les notes, mais aussi la personnalité et le style, tandis que la chanteuse belge Alexise Yerna remplit parfaitement son office en Laura.

En fosse enfin, le chef italien Massimo Zanetti accomplit des prodiges pour mettre en valeur l'art de l'instrumentation de Verdi. Dès l'Ouverture, aux dessins mélodiques délicatement ciselés, il imprime à la représentation un rythme de plus en plus haletant jusqu'au trio final, exécuté avec un imparable sens du colori orchestral.

Après plusieurs rappels, une standing ovation vient très justement plébisciter cette magistrale soirée.

Emmanuel Andrieu

Luisa Miller à l'Opéra Royal de Wallonie

Crédit photographique © Opéra Royal de Wallonie

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