Platée à l'Opéra-Comique : l'excellence musicale au service de la farce

Xl_platee-comique © DR

Perle de l’opéra baroque français, Platée, comédie lyrique en un prologue et trois actes, est à l’affiche de l’Opéra-Comique pour une nouvelle production très attendue, créée le mois dernier à Vienne et proposée dans le cadre des célébrations du 250e anniversaire de la disparition de Rameau.

Ce soir de la première parisienne, le spectacle est déjà dans la salle avant le lever du rideau – un rideau en lames métallisées qui donne le ton de la représentation. Après avoir été « exhortés » par un Jérôme Deschamps très en verve à applaudir William Christie, assis au premier rang de corbeille, ce sont les intermittents du spectacle qui, par une brève intervention préalable, ont offert aux uns l’occasion d’émettre leur désapprobation et aux autres de témoigner leur solidarité.
Toujours pas remis d’une intervention chirurgicale subie il y a quelques semaines, William Christie a dû renoncer à diriger lui-même les représentations parisiennes de l’œuvre et c’est le discret Paul Agnew, son directeur musical adjoint (ayant lui-même endossé brillamment le rôle de la vilaine Platée sur scène par le passé), qui le remplace ici à la tête des Arts Florissants, avec – il faut le dire – beaucoup de panache. On en viendrait même à se demander, honteusement, ce que Christie aurait apporté de plus à la partition, tant la direction d’Agnew rend hommage à l’inventivité de Rameau et à l’esprit railleur de l’œuvre, révélant tous les contrastes de cette musique qui oscille constamment entre tragique et comique. 

Dans cette nouvelle production, la portée politique de l’œuvre, satire féroce de la vie de cour, a été gommée pour s’inscrire dans l’univers superficiel de la mode, s’adaptant naturellement à la société actuelle. Le milieu de la haute couture est prétexte à nous entraîner tour à tour dans une boîte de nuit branchée, un hôtel de luxe, puis à la fameuse adresse du 31, rue Cambon, siège historique de la maison Chanel et siège symbolique des vanités pour le metteur en scène Robert Carsen, qui choisit d’y installer l’histoire de cette reine des marécages pétrie d’orgueil.

Tout commence par une bacchanale ultra moderne, où les toges des dieux fêtards sont agrémentées de blousons de cuirs et de vestes en vison, tandis qu’une boule à facettes accompagne de ses pastilles lumineuses les déhanchements frénétiques de ces jouisseurs de l’Olympe. C’est le prélude à un spectacle orchestré par Thalie (muse de la comédie) et Momus (incarnant la satire), destiné à « corriger les défauts des humains » - programme énoncé par les deux chanteurs en regardant le public d’un air moqueur.
La comédie est lancée : pendant deux heures, on va s’appliquer à railler les humains dans ce qu’ils ont de plus pathétique, à travers l’histoire d’une héroïne ridicule.
Platée est le dindon d’une farce destinée à rassurer la déesse Junon : Jupiter doit feindre d’aimer la repoussante Platée pour convaincre, par l’évidente absurdité de ce couple d’opérette, que la jalousie de Junon est excessive. À aucun moment la débauche de moyens employée pour la séduire n’éveillera les soupçons de la stupide nymphe qui, dans son aveugle et grotesque vanité, n’aura pas de peine à se laisser convaincre de cet amour divin, allant jusqu’à l’humiliation publique, autant victime de la cruauté des dieux que de sa propre bêtise.
Le marais sur lequel règne la triste héroïne est remplacé en 2014 par un hôtel de luxe, où elle déambule sans gêne en serviette de bain au milieu des habitants du marais, acteurs ici d’un véritable concours de vanités (lunettes de soleil, sacs de marques, vêtements fantaisistes, attitudes hautaines etc.).

Cette Platée-là n’a pas l’habituelle apparence de grenouille qui lui a été attribuée dans de précédentes mises en scène, mais celle d’un laideron bien humain (conformément, nous indique le programme, à la création du rôle en 1745 par Pierre de Jélyotte grimé en coquette ridicule). Pour tenir le rôle-titre, le ténor Marcel Beekman révèle une fibre comique exceptionnelle, subjuguant par son talent de comédien autant que par ses qualités vocales – une belle voix puissante et d’une justesse infaillible qu’il sacrifie volontiers au service de la parodie, exagérant les sanglots et poussant les fins de phrases pour déclencher les rires du public. Aussi à l’aise dans les vocalises et dans le registre de l’émotion (notamment dans l’air « À l’aspect de ce nuage » au deuxième acte) que dans la franche bouffonnerie, il est le principal atout de cette production.
Quant aux autres chanteurs, on ne saurait distinguer leurs qualités tant l’égalité de la distribution est évidente. Tous ont une diction parfaite, un sens du phrasé baroque maîtrisé et un talent comique réjouissant, mettant en valeur la truculence du livret. L’excentrique soprano Simone Kermès, très attendue dans le rôle de la Folie – sensé lui aller comme un gant – campe ici une Lady Gaga aux accents baroques. C’est pourtant d’elle que vient la seule petite déception dans cet engouement général. La plupart de ses interventions sont entachées par quelques fausses notes et une diction laborieuse, franchement dérangeantes tant le reste de la distribution est parfaite. Malgré des aigus spectaculaires au troisième acte, celle qui est habituellement la reine incontestée des vocalises montre ici une voix un peu lourde dans certains traits. Ces faiblesses vocales sont heureusement compensées par un tempérament de leader et un talent d’actrice qui siéent parfaitement à la figure qu’elle incarne.
Enfin, la danse, très présente dans l’opéra, s’intègre subtilement à l’intrigue dans des ballets-tableaux, qui se font théâtre de la mise en œuvre du stratagème, marquant d’habiles transitions entre les scènes.
Rien (ou presque) ne détonne dans ce spectacle dont l’humour raffiné déclenche régulièrement l’hilarité. On sent que le plateau s’amuse sous l’œil précis de Robert Carsen. La mise en scène foisonne de clins d’œil et de références à l’univers résolument contemporain dans lequel se place ici l’intrigue (Jupiter en Karl Lagarfeld, Junon en Coco Chanel, une consommation ostensible de cocaïne, etc.) et où chacun, jusqu’au dernier figurant, offre le spectacle de sa fatuité.

Ici, on a choisi de faire du public les témoins de la cruelle farce des personnages aussi vaniteux que la victime qu’ils raillent, proposant au spectateur le reflet (pas seulement symbolique puisque la scène est ceinte de miroirs) de ce qui se trouvait autour de lui dans la salle, le soir de cette première : des parisiens endimanchés et des critiques blasés venus, eux-aussi, assister aux mésaventures de la pauvre Platée.

Albina Belabiod

Platée de Jean-Philippe Rameau, à l’Opéra-Comique, jusqu’au 30 mars.

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