Carmen aux Chorégies d'Orange… pour Don Jonas !

Xl_carmen-choregies-orange-2015c © DR

Carmen à Orange, c’est un classique ! On y a applaudi quelques-unes des plus grandes, en particulier Béatrice Uria Monzon qui, trois fois, a donné des frissons aux spectateurs du Théâtre antique. Pourtant, cette fois-ci, on a oublié Carmen et les quelque 9 000 spectateurs n’ont eu d’yeux (et d’oreilles !) que pour le Don José de Jonas Kaufmann !

Non que Kate Aldrich soit une mauvaise Carmen : elle est belle, elle possède une noblesse certaine (presque un peu trop, évoquant parfois un peu plus Marie-Chantal à Séville que la cigarière exaltée de Bizet), elle chante bien – mais elle n’a pas de feu, pas d’ardeur, pas de cette brûlure violente qu’on attend d’une Carmen. Elle est sage, trop sage – et elle n’existe pas. A côté d’elle, une Micaela toute de charme en dépit d’une prononciation du français un peu approximative, Inva Mula, toujours aussi aimée du public orangeois, et un Escamillo un rien terne, Kyle Ketelsen, dont le tube (« Votre toast ») tombe à plat, à tel point qu’on se demande comment Carmen peut le préférer à Don José-Kaufmann ! Les seconds rôles sont tous remarquablement tenus : c’est la « patte » de Raymond Duffaut qui excelle à mettre en valeur de jeunes voix qui deviendront grandes – ou le sont déjà ! Du Remendado de Florian Laconi, décidément devenu un des meilleurs ténors français, à la Mercedes de la mezzo Marie Karall, au timbre profond, ambré, au chant ardent, en passant par le Moralès d’Armando Noguera ou le Zuniga très timbré de Jean Teitgen, il y a là une mine de ces chanteurs de la nouvelle génération qui vont de plus en plus fleurir sur les scènes.

Mais on a beau faire, on revient toujours à celui qui domine la soirée, Jonas Kaufmann, plus qu’un ténor, un musicien à la subtilité inouïe, qui sait retenir les effets pour simplement raconter son personnage avec évidence, qui sait chanter son Air de la fleur comme un lied, avec une poésie où tout son être s’avoue à nu devant Carmen, avec des nuances proprement inouïes, des couleurs comme on ne les entend jamais, et ces dernières mesures jusqu’à ce fameux si bémol chanté piano, se rehaussant pour s’alléger encore, se dissoudre, sans jamais la facilité de passer par le falsetto : du grand art et un moment d’émotion d’une rare intensité. Tout est superbe dans son interprétation, tout est intelligent, tout est pensé et semble pourtant si libre : qu’on songe par exemple à la scène finale, ce duo où il sait équilibrer les séquences, ne jamais se laisser déborder, conduire le drame avec une douleur palpable sur les lèvres, sans crier, porté par un désespoir affleurant qui bouleverse sans aucun pathos souligné. Jonas Kaufmann s’affirme là, encore une fois, comme un des plus grands artistes de son temps.

Trois éléments encore ont architecturé cette soirée : le premier est la mise en scène de Louis Désiré, plate, s’arrêtant à quelques innovations de décor (ces grandes cartes qui, visuellement réussies, réduisent la trame du récit), à quelques trouvailles esthétisantes mais encombrées par des costumes plutôt ratés (en particulier ceux des cigarières qui les transforment en moniales !), et pêchant surtout par une direction d’acteurs aux abonnés absents. Pas de feu, pas de force, pas de drame. Le deuxième élément, la direction, élégantissime, de Mikko Franck, peut souffrir le même reproche : elle n’est jamais flamboyante, d’abord parce que les tempi en sont très (trop ?) retenus, ensuite parce que la recherche de ces mille raffinements, qui font scintiller comme rarement l’Orchestre Philharmonique de Radio-France, nuit sans doute souvent à l’élan dramatique. Mais quelle beauté sonore pourtant ! Le troisième et dernier élément est le mistral qui, soufflant par bourrasques répétées, rend évidemment plus difficile le travail des chanteurs, comme celui des instrumentistes. 

Pourtant, au final, qu’est-ce qui demeure de cette nouvelle Carmen à Orange ? Le Don José de Jonas Kaufmann : c’est avant tout pour lui que le public est venu, c’est avec le souvenir de ce chant de lumière et d’ombre qu’il est reparti, heureux. Merci Don Jonas !  

Alain Duault

Pour aller plus loin : Carmen, « piment rouge, fleur écarlate »
Que dire encore sur Carmen dont la parfaite réussite a été encensée par des musiciens aussi exigeants que Tchaïkovski, Brahms, Wagner ou encore Richard Strauss ? [...] Dès les premières notes du Prélude de Carmen se répandent avec éclat les couleurs sensuelles d’où se détache la silhouette de la bohémienne, libre jusqu’à l’insolence. Femme fatale qui ensorcelle le malheureux Don José en lui jetant une « fleur de cassie », Carmen, est plus qu’un Don Juan en jupons. Figure de la transgression, venue de nulle part et emportée vers la mort par l’impétuosité de ses désirs, elle se meut dans le rougeoiement diabolique d’une passion dévastatrice. Lire la suite

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