Les Joyeuses commères de Windsor d'Otto Nikolaï à l'Opéra de Lausanne

Xl_weiber © M. Vanappelghem

Basées, comme le Falstaff de Verdi, sur la comédie de Shakespeare, ces Joyeuses Commères de Windsor d'Otto Nikolaï – créées à l'Opéra de Berlin en 1849 - offrent toutes les garanties d'un authentique opéra-comique, et divulguent l'inspiration élégiaque du compositeur, qui va de pair avec un sens très sûr du comique. Le Naïf ventru et coureur de femmes - qui est ici un franc bon vivant - est aux prises avec des commères expertes dans l'art de gruger, et dont les rôles sont très développés. Voilà une œuvre habile qui fonctionne bien, avec sans doute guère de surprises sur le plan de l'invention musicale, mais qui fait alterner astucieusement moments poétiques (les amours d'Anna et de Fenton), et plaisants. Nikolaï, le fondateur de la Philharmonie de Vienne, qui a séjourné à diverses reprises en Italie, s'y est vraiment imprégné du sens de la grâce et d'une certaine vivacité, inhérents à ce pays. On songe, dans le premier acte notamment, à Rossini. Il n'en renie pas pour autant ses origines germaniques : là pointent les influences de son aîné, le romantique Weber, et certaines envolées font penser au Wagner première manière.

Dans sa réalisation scénique, le metteur en scène franco-germanique David Herman – on se souvient à Nancy de son Italienne à Alger ou de sa Iolanta de Tchaïkovsky – opte pour un dépoussièrage radical de l'intrigue. L'action se passe en pleine époque de libération sexuelle, dans les années 60/70 du siècle passé. Rafail Ajdarpasic a conçu un décor mobile, où dominent les couleurs vives, très anglaises (impeccable gazon vert), dans des formes relativement stylisées, n'excluant pas certaines excentricités vestimentaires. Dans cet univers, les femmes n'ont qu'un désir : goûter au plus vite aux charmes de la chair. Et lorsque, comme c'est le cas de Mme Fluth, le mari n'est plus à la hauteur de la situation, un petit flirt (et plus prosaïquement ici un coït) avec Sir John n'est pas à dédaigner. Herman a rajouté un personnage, celui d'un psychothérapeute qui  vient régulièrement tendre une oreille attentive aux plaintes de l'un ou de l'autre membre du couple...quand ce n'est pas pour les séparer d'un début de prise de mains ! Bref, tout se fait dans la bonne humeur, et les spectateurs semblent apprécier ce miroir sans concession des mœurs bourgeoises qu'on leur tend.

L'impression d'ensemble n'aurait certes pas été aussi positive si la musique n'était, elle aussi, servie parfaitement. La direction alerte et impeccablement dosée du chef allemand Frank Beerman – actuellement directeur musical de l'Opéra de Chemnitz – sait faire  de chaque morceau une vignette musicale ciselée avec art, tout en assurant à l'ensemble du spectacle un rythme suffisamment soutenu pour que restent sensibles les proportions architecturales finement calculées de chaque acte.

La distribution réunie à Lausanne se montre très homogène, avec une mention spéciale néanmoins pour la formidable soprano roumaine Valentina Farcas qui incarne une Frau Fluth délurée, avec une voix large et souple à la fois, expressive et superbement timbrée. Native du pays, la mezzo Eve-Maud Hubeaux (Frau Reich) est aussi convaincante comédienne que chanteuse au métier déjà solide. De son côté, Michael Tews, en Sir John Falstaff, offre un timbre sombre et mordant mais la mise en scène ne le laisse guère exister sur scène, tandis que Herr Fluth, le baryton allemand Olivier Zwarg, a sans conteste la voix du rôle, et incarne au premier degré le mari jaloux de la tradition. Les jeunes Attilio Glaser (Fenton) et Céline Mellon (Anna) forment un couple délicieux à tous points de vue, alors que les deux prétendants ridicules trouvent en Stuart Patterson (Spärlich) et Sacha Michon (Dr Cajus) des interprètes qui savent ne pas faire passer la charge comique avant le respect du texte musical. Enfin, Benoît Capt (Herr Reich) et Jean-Luc Borgeat (Le Thérapeute) s'acquittent fort bien de leur partie respective.

Voilà un spectacle qui mériterait de faire le tour des scènes européennes, pour réhabiliter un compositeur qu'on a trop vite fait de ranger parmi les figures mineures de son siècle.

Emmanuel Andrieu

Die lustigen Weiber von Windsor, à l'Opéra de Lausanne, jusqu'au 15 juin 2014

Crédit photographique © M. Vanappelghem

| Imprimer

En savoir plus

Commentaires

Loading