Salzbourg et ses voix

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Si les fondations du Festival de Salzbourg s’appuient sur quelques compositeurs et chefs emblématiques, le rendez-vous salzbourgeois doit aussi sa renommée, son attractivité et son prestige à sa capacité à attirer les plus grandes voix. En cent ans d’existence, le Festival a accueilli la plupart des « stars » des scènes lyriques comme les interprètes les plus exigeants – de Mirella Freni ou Franco Corelli à Jonas Kaufmann ou Anna Netrebko, parmi de nombreux autres. En liminaire de son centenaire, nous évoquons quelques-unes des grandes voix qui ont marqué les hautes heures du Festival. 

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Salzbourg n’est pas un festival d’opéra : dès l’origine, le théâtre lyrique voisine avec le théâtre parlé, et des dizaines de programmes de concert différents réunissent la majorité des spectateurs. Mais l’opéra est au cœur de l’image du festival. Aujourd’hui, aucune édition du festival n’a lieu sans Anna Netrebko et sans Plácido Domingo, qui font chacun l’objet d’un culte par le public autrichien tout en attirant un public international prêt à parcourir la terre entière pour les écouter. La première, qui a fait ses débuts à Salzbourg dès 1998 (en Fille-Fleur de Parsifal !), est présente chaque année depuis 2009, souvent avec une production d’opéra faite pour elle. Le second y a fait ses débuts en 1975, sous le patronage de Karajan lui-même ; sa présence a depuis été intermittente, mais les intendants récents ne se sont pas privés de sa capacité à attirer le grand public comme le public le plus fortuné, les bonnes intentions artistiques ne suffisant pas toujours à remplir les caisses du festival.


Don Carlo, Festival de Salzbourg (2013), Jonas Kaufmann, Anja Harteros

En tant que festival d’opéra, Salzbourg ne se contente pas de reproduire le répertoire des grandes maisons qui jouent le reste de l’année : il y a, naturellement, la place singulière de Mozart ; il y a l’attention portée au répertoire moderne et contemporain ; mais il y a aussi, dans ce répertoire, la volonté de limiter la place du répertoire le plus « culinaire », comme aurait dit Brecht : certes, quatre opéras de Puccini ont été joués à Salzbourg, mais chacun n’a eu droit qu’à un été ; Verdi est plus présent, mais par une sélection de ses œuvres seulement : Don Carlo y a toute sa place, Falstaff de même (dès 1935 !), mais Rigoletto, lui, est toujours inconnu à Salzbourg, et La Traviata n’y a fait que de la figuration. Pendant longtemps, la présence de Verdi s’expliquait par le désir des chefs, Karajan avant tout, de la fin des années 50 à la fin des années 80. Ce qui ne l’a pas empêché d’afficher des distributions de grand luxe, conçues sur mesure en fonction de ses conceptions musicales, mais aussi telles que les plus grandes maisons d’opéra ne pouvaient pas les réunir tous les jours. Leontyne Price, Giulietta Simionato et Franco Corelli pour le Trouvère de 1962 ; Mirella Freni et Placido Domingo comme couple star du Don Carlo en 1975, avec Christa Ludwig, Nicolaï Ghiaurov et Piero Cappuccilli autour d’eux. Qui dit mieux ? Plusieurs décennies plus tard, ce sont Jonas Kaufmann, Anja Harteros et Thomas Hampson qui leur succèdent : cette fois, ce sont les chanteurs qui sont au cœur du projet ; une distribution similaire avait déjà fait parler d’elle à Munich, mais cela n’entame pas le prestige du festival.


Lucrèce Borgia, Festival de Salzbourg (2017), Juan Diego Florez,
Krassimira Stoyanova

Salzbourg a aussi développé depuis deux décennies l’habitude de présenter chaque année un ou plusieurs opéras en version de concert, soit pour des opéras contemporains, soit surtout pour des opéras du grand répertoire qui ne font pas partie des habitudes de programmation salzbourgeoise, dans le but d’y afficher de grandes stars : sans compter les soirées autour de Netrebko et Domingo, Piotr Beczała et Angela Gheorghiu dans Werther en 2015, Juan Diego Flórez et Krassimira Stoyanova dans Lucrezia Borgia en 2017, à chaque fois dans des interprétations répétées avec soin, voilà bien des têtes d’affiche susceptibles de faire venir à Salzbourg le public international.

Ces grandes voix, certes, sont celles qui tournent dans le monde entier pendant toute la saison, mais elles ne sont pas les seules qui méritent le détour à Salzbourg : une interprète aussi exigeante qu’Angela Denoke, depuis un Wozzeck de 1997, a pu connaître une belle carrière salzbourgeoise, et l’ensemble mozartien des années 50 et 60, autour de Elisabeth Schwarzkopf, Christa Ludwig ou Dietrich Fischer Dieskau est resté légendaire jusqu’à aujourd’hui ; les succès mozartiens d’une Marianne Crebassa renouent avec cette légende dorée salzbourgeoise.


Elisabeth Schwarzkopf

Les stars du chant ont toujours été présentes à Salzbourg, à l’opéra, mais aussi au concert : Salzbourg n’est pas le lieu des grands récitals avec orchestre, mais Pavarotti ou Jessye Norman ont donné pendant des années des récitals souvent composites dans les très vastes espaces de la grande salle du festival. On y perd beaucoup en intimité, mais ces grandes célébrations font partie de la tradition du festival. Salzbourg a aussi pendant longtemps été un des grands lieux du Lied, avec une programmation certes moins dense que dans d’autres festivals plus spécialisés, mais avec une constante exigence dans le choix des interprètes – les années 1950 et 1960 sont l’époque des Seefried, Ludwig, Prey, Schwarzkopf et bien sûr Fischer-Dieskau, dont témoignent de très nombreux enregistrements – le plus célèbre est peut-être celui où Wilhelm Furtwängler s’est mis au piano pour accompagner Elisabeth Schwarzkopf pour le cinquantenaire de la disparition de Hugo Wolf en 1953. La programmation d’aujourd’hui compte toujours une série de Liederabende, mais elle a largement perdu sa singularité : on y retrouve certes du Lied, notamment avec Christian Gerhaher et Matthias Goerne, mais aussi les concerts les plus divers, musique baroque avec orchestre par exemple, si bien que la singularité salzbourgeoise en la matière s’est nettement atténuée. Il est difficile aujourd’hui, quand les médias permettent d’avoir un accès si facile à tout ce qui se fait de par le monde, de maintenir une pareille singularité, en matière de Lied comme d’opéra, mais en matière de prestige et d’attractivité internationale, Salzbourg continue à n’avoir guère de rivaux.

Dominique Adrian

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