Berlin 2019/2020 : la profusion entre complémentarité et originalités

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Le spectateur d’opéra berlinois peut-il échapper à La Flûte enchantée ? Quarante représentations en une saison, dans les trois maisons, et dans quatre mises en scène différentes, la Staatsoper ayant à son répertoire à la fois une version moderne et le traditionnel spectacle d’August Everding. La production la plus jouée de la saison est cependant celle de la Komische Oper, succès exporté dans toute l’Europe (Opéra-Comique compris), qui est aussi à Berlin la garantie de remplir les salles. On n’en finirait plus de faire la liste de tous les chanteurs qui se succèderont dans ces différents spectacles, généralement avec des répétitions minimales.

Ce n’est naturellement pas la seule collision entre les trois programmations de la future saison, mais ce qui a été longtemps dénoncé comme une forme de gaspillage apparaît de plus en plus comme une richesse, dans une ville qui sait que la culture est son meilleur atout. Deux mises en scène de Tosca ne sont pas forcément indispensables, en effet, mais qui s’en plaindra si l’une affiche Angela Gheorghiu et Vittorio Grigolo (Staatsoper) et l’autre Stemme, Harteros, Tézier, Maestri (Deutsche Oper) ?

Un autre aspect très positif est que cette profusion oblige chacune des maisons à sortir du grand répertoire pour se distinguer. La Deutsche Oper affiche ainsi pas moins de trois œuvres de Meyerbeer en une saison, la reprise de deux productions scéniques (Le Prophète avec Gregory Kunde et Clémentine Margaine, et Les Huguenots) et Le Pardon de Ploërmel en concert avec une belle distribution francophone dominée par Sabine Devieilhe et Florian Sempey ; mais elle affiche aussi une création mondiale de Chaya Czernowin, avec Patrizia Ciofi et Dietrich Henschel.

La Staatsoper, elle, reconduit son festival baroque après une première édition fêtée par le public à l’automne dernier. Cette fois, elle remet sur le métier un des grands succès de son répertoire, Didon et Énée mis en scène par Sascha Waltz, et met à l’affiche Il Primo Omicidio de Scarlatti, dans la mise en scène de Romeo Castellucci coproduite avec l’Opéra de Paris et toujours dirigée par René Jacobs – avec, en complément, un autre oratorio de Scarlatti dirigé par Fabio Biondi et un grand nombre de concerts.

Komische Oper Berlin

La Komische Oper, elle aussi, a une tradition baroque : la saison prochaine offrira Jephta de Haendel dans une mise en scène de Richard Jones et la reprise de Semele mis en scène par son directeur Barrie Kosky. Mais les deux pôles de son répertoire, l’opérette de l’entre-deux-guerres et le répertoire du XXe siècle, restent plus que jamais d’actualité : les figures principales en seront la saison prochaine Paul Abraham, ce qui n’est pas nouveau, mais aussi Jaromír Weinberger, à qui tout un festival sera consacré, entre opérette et genres plus sérieux. Le répertoire sérieux du XXe siècle, lui, encadrera la saison : elle se finira sur une nouvelle production du Rake’s Progress, confiée à Kirill Serebrennikov (on verra bien s’il pourra venir à Berlin) ; surtout, elle débutera sur une des propositions les plus stimulantes de la prochaine saison, les extraordinaires Bassarides de Hans Werner Henze sous la direction de Vladimir Jurowski, un des plus formidables chefs d’opéra de notre temps. Jurowski, directeur musical de l’un des orchestres symphoniques de Berlin et futur directeur musical à Munich, ne se contentera cependant pas de ce défi : la nouvelle production de Khovanchtchina de Moussorgski qu’il dirigera à la Staatsoper, dans une nouvelle mise en scène de Claus Guth, vaudra certainement aussi le déplacement.

La Komische Oper a en commun avec la Staatsoper d’être dominée par une figure marquante, qui occupe une place centrale dans sa programmation. À la Komische Oper, c’est l’intendant Barrie Kosky, en place depuis 2012 : c’est l’effet du répertoire, il signe près des deux tiers des spectacles à l’affiche, avec une inévitable inégalité dans les résultats. Les spectateurs n’auront pas tort de dépasser ce monolithisme et de se convaincre aussi des qualités musicales de la maison : le directeur musical de l’orchestre, Ainārs Rubiķis, a notamment remporté le prestigieux concours des jeunes chefs d’orchestre du festival de Salzbourg.

À la Staatsoper, malgré les polémiques récentes contre son autoritarisme et son manque de respect pour ses collaborateurs, c’est naturellement encore et toujours Daniel Barenboim qui est la figure dominante. C’est naturellement lui qui ouvrira la saison avec deux cycles complets du Ring, dans la mise en scène de Guy Cassiers, aux côtés d’une distribution brillante, notamment Michael Volle, Iréne Theorin, Anja Kampe et Andreas Schager – et comme si cela ne suffisait pas la fidèle Waltraud Meier fera une apparition en Waltraute. Inutile de dire que ces représentations, annoncées et mises en vente avant le reste de la saison, sont déjà complètes.

Barenboim assurera aussi pas moins de trois premières : on ne l’attend guère dans le répertoire léger, mais il dirigera Les joyeuses commères de Windsor d’Otto Nicolai, dans une mise en scène prometteuse de David Bösch et avec une distribution également brillante (Michael Volle encore, Anna Prohaska, Pavol Breslik) ! Son intérêt pour Mozart, lui, est bien connu et ancien, mais il ne l’a guère entretenu ces dernières années : ce sera pourtant Così fan tutte qui sera au cœur des prestigieux (et coûteux) Festtage, le festival pascal de la Staatsoper ; la France y sera à l’honneur, puisque la mise en scène sera signée de Vincent Huguet, l’ancien assistant de Chéreau, et qu’Elsa Dreisig et Marianne Crebassa domineront la distribution aux côté des vétérans Ferruccio Furlanetto et Barbara Frittoli. Marianne Crebassa, d’ailleurs, est particulièrement à l’honneur à Berlin, puisqu’elle sera aussi à l’affiche du Barbier de Séville et des Noces de Figaro. Et la troisième première de Barenboim sera française, mais avec une distribution brillante mais guère francophone : Samson et Dalila seront chantés par Brandon Jovanovich et Elīna Garanča, avec un trio de voix graves exceptionnel autour d’eux, Michael Volle, Kwangchul Youn et rien moins que Samuel Ramey.

Wagner, composante essentielle de toute saison berlinoise, ne se contentera pas du Ring de la Staatsoper : l’événement le plus important en la matière est le début d’une nouvelle production du Ring à la Deutsche Oper : c’est le directeur musical de la maison, Donald Runnicles, qui dirige ; la mise en scène, elle, sera très attendue, puisque elle sera signée Stefan Herheim, tout auréolé du triomphe de son Parsifal à Bayreuth il y a une décennie. Avec les distributions rarement brillantes de la Deutsche Oper, Runnicles dirigera aussi Parsifal, Tannhäuser et Tristan. La Staatsoper, elle, se passe de nouvelles productions, mais affiche Le Vaisseau fantôme avec Matthias Goerne et Ricarda Merbeth en complément de son Ring.

Mozart, outre les multiples Flûtes, est moins à son avantage. La énième reprise du Don Giovanni de Claus Guth à la Staatsoper ne fera traverser l’Europe à personne, mais les audacieux pourront après tout aller découvrir le travail de Rodrigo García sur L’Enlèvement au Sérail à la Deutsche Oper, même dans une distribution anonyme. La nouveauté de la saison est certainement l’Idomeneo de la Staatsoper : la mise en scène (David McVicar) promet certes d’être d’un classicisme sans surprise, mais la direction de Simon Rattle, grand amoureux de l’œuvre, accompagnera son épouse Magdalena Kožená dans un de ses meilleurs rôles, face à Andrew Staples en Idoménée et Anna Prohaska en Ilia.

La profusion berlinoise interdit de discuter ici chaque représentation, chaque distribution, chaque mise en scène, mais le spectateur qui viendra à Berlin entendre telle ou telle de ses idoles aurait bien raison d’explorer l’offre berlinoise au-delà de ce qu’il connaît déjà – il serait dommage de se contenter même d’Anna Netrebko dans Adriana Lecouvreur ou de Roberto Alagna dans Cavalleria et I Pagliacci. Il n’y a certes pas de grands noms dans la nouvelle Force du destin de la Deutsche Oper, mais une mise en scène de Frank Castorf, a fortiori dans sa ville, ça ne se refuse pas, et L’Antichrist de Rued Langgaard, dans la même salle, suscite au moins la curiosité. Mais c’est sans doute par un concert qu’il faut clore ce parcours, avec un programme beaucoup moins inédit : c’est à la Philharmonie qu’il aura lieu, par le Philharmonique. La saison n’est pas encore annoncée, mais le Fidelio que Kirill Petrenko, le nouveau directeur musical du Philharmonique de Berlin, ne manquera pas de ramener du festival de Pâques à Baden-Baden, risque fort d’être le grand événement lyrique de la saison.

Dominique Adrian

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