Saison 2018-19 : « Tout est juste » à l’Opéra de Munich

Xl_munich-bayerische-staatsoper-2018-2019 © DR

L’Opéra de Munich continue sur sa lancée : les grands noms du chant, la diversité du répertoire, l’exigence théâtrale en un seul lieu. La saison commence par un coup de tonnerre – ou du moins par une tempête : la nouvelle production d’Otello de Verdi permet à Jonas Kaufmann de présenter pour la première fois au public de sa ville natale son portrait du général maure, dans une mise en scène d’Amélie Niermeyer. Et Desdémone ? C’est Anja Harteros, bien sûr, verdienne idéale et partenaire privilégiée de Kaufmann. Et dans la fosse ? C’est Kirill Petrenko, évidemment, qui continue ainsi à montrer que son amour de l’opéra ne se limite pas à Wagner et au grand répertoire : alors qu’il est déjà sur le chemin de son futur poste au Philharmonique de Berlin, il continue à  valoriser le grand répertoire lyrique, celui que les grands chefs dédaignent souvent.

L’autre grande première du répertoire italien, La Fanciulla del West de Puccini, se passera en revanche de sa présence : dirigée par le jeune et prometteur James Gaffigan et mis en scène par le sage Andreas Dresen, ce western lyrique pourra intéresser d’abord pour les voix, celle d’Anja Kampe en Minnie, et surtout celle du ténor Brandon Jovanovich – le drame au détriment de l’italianità, peut-être, mais le résultat peut valoir le détour.

Mais cette saison vaut aussi par la présence pour ainsi dire inédite à Munich de deux nouvelles productions d’opéras antérieurs à Mozart en une seule saison, la version française d’Alceste de Gluck et Agrippina de Haendel. Pour Alceste, Nikolaus Bachler a choisi de réinviter le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui, qui avait proposé en 2016 des Indes Galantes audacieuses et formidables qui avaient enthousiasmé le public : les deux œuvres sont très différentes, mais on peut attendre avec impatience ce qu’il pourra proposer cette fois. Sous la direction d’Antonello Manacorda, la distribution réunit Charles Castronovo et, de manière plus inattendue, Dorothea Röschmann qui n’a guère fréquenté ce répertoire jusqu’à présent.

Agrippina, qui marque le retour de Haendel à Munich, est elle entre les mains de celui qui, dans les années 1990 et 2000, avait porté avec grand succès le poids musical de la « Händel-Renaissance » de Munich, Ivor Bolton. Le metteur en scène australien (et berlinois) Barrie Kosky n’est jamais aussi bon que dans la satire et le détournement narquois, ce que cette étonnante comédie politique favorise à longueur d’actes. Côté voix, c’est sans doute Franco Fagioli qui attirera le plus grand nombre de pèlerins lyriques, même si le rôle de Néron n’est pas le meilleur écrin pour ses qualités pyrotechniques ; pour la beauté du timbre, on écoutera avec soin Iestyn Davies en Ottone ; côté féminin, l’intrigante Agrippine sera chantée par Alice Coote.

Outre Otello, Kirill Petrenko dirigera comme il soit doit l’ouverture du festival annuel à la fin du mois de juin : c’est Krzysztof Warlikowski qui mettra en scène cette Salomé de Strauss dont la distribution réunit quelques familiers de la maison et de Petrenko : après avoir notamment chanté pour lui le rôle-titre de Lulu, Marlis Petersen dialoguera avec son Wotan de Bayreuth, Wolfgang Koch ; on retrouvera autour d’eux Wolfgang Ablinger-Sperrhacke et Michaela Schuster ainsi que, dans le court rôle de Narraboth, rien moins que Pavol Breslik.

Le xxe siècle, lui, sera représenté par une grande rareté, le Charles Quint qu’Ernst Krenek, élève de Schönberg, avait composé au début des années 1930 : il en existe certes quelques enregistrements, mais cette nouvelle mise en scène créée par La Fura dels Baus dans une des grandes maisons d’opéra d’aujourd’hui, avec Bo Skovhus dans le rôle-titre, sera sans doute l’occasion d’accorder à cette œuvre une attention inédite. On pourra aussi jeter un coup d’œil vers la seconde maison d’opéra de Munich, le Théâtre de la Gärtnerplatz, qui offrira La mort de Danton de Gottfried von Einem, création majeure du festival de Salzbourg en 1947, et Le jeune Lord de Hans Werner Henze.

La série des nouvelles productions est complétée par deux spectacles consacrés au répertoire slave. La fiancée vendue fera son retour sur la scène de Munich seize ans après une nouvelle production qui avait fait long feu ; la direction de l’Opéra se repose sur le metteur en scène David Bösch pour donner une actualité théâtrale à l’œuvre de Smetana. Tomáš Hanus dirigera l’œuvre dans sa version allemande avec Christiane Karg et Pavol Breslik. Les membres du studio lyrique, eux, affronteront dans le cadre très intime du Cuvilliés-Theater, un programme ambitieux composé de Mavra de Stravinsky et de Iolanta de Tchaikovski : ce n’est pas un de ces grands événements qui font accourir les spectateurs de l’Europe entière, mais ces spectacles de jeunes chanteurs sont souvent parmi les plus attachants de la saison.

Côté répertoire, Munich se montre conforme à sa réputation, en invitant les grands noms d’aujourd’hui. Les deux stars de la maison, Anja Harteros et Jonas Kaufmann, ne seront pas là que pour Otello : lui sera à nouveau Florestan dans le Fidelio mis en scène par Calixto Bieito sous la direction de Kirill Petrenko, elle reprendra Andrea Chénier, Tosca et Arabella (y compris pour une version de concert au Théâtre des Champs-Élysées). Toujours entourée d’une vénération particulière à Munich, Edita Gruberova donnera quelques représentations de Roberto Devereux, mais le bel canto passera pour l’essentiel en d’autres mains : Diana Damrau reprendra Lucia di Lammermoor avec Javier Camarena, et on pourra voir aussi dans ce répertoire rien moins que Pretty Yende, Sondra Radvanovsky, Sonya Yoncheva chez les dames, Joseph Calleja ou Pavol Breslik chez les messieurs. Karita Mattila reviendra chanter la Sacristine de Jenůfa, les opéras de Verdi seront l’occasion de voir Adrianne Piecronka, Anna Pirozzi, Krassimira Stoyanova ou Aylin Pérez, mais aussi Simon Kenlyside en Rigoletto (qui sera aussi Don Giovanni), ainsi que les vétérans Leo Nucci et Plácido Domingo se succédant dans La Traviata.

Les Français, cependant, ne seront pas en reste. Il y a d’abord Elsa Benoit, brillante membre de la troupe maison, qui fait mieux que jouer les utilités : elle jouera les premiers rôles dans L’Elisir d’amore et comme Poppée dans Agrippina, sera Zerlina dans Don Giovanni – avec Stanislas de Barbeyrac –, ou Oscar du Bal Masqué ; Ludovic Tézier, que le public de Munich connaît bien, viendra lui présenter son Comte des Noces de Figaro et son Wolfram deTannhäuser, et Gaëlle Arquez reprendra le rôle-titre de Carmen.

Et Wagner dans tout ça ? Pas de nouvelle production en vue (un Tristan finira bien par arriver, avec ?), mais les grandes productions de ces dernières années, Tannhäuser, Les Maîtres-chanteurs et Parsifal qui clôturera la saison actuelle reviendront : Tannhäuser perdra à la fois Kirill Petrenko et Anja Harteros (au profit de Simone Young et de Lise Davidsen) ; Parsifal gardera Petrenko mais pas Kaufmann, remplacé par Burkhard Fritz ; dans Les Maîtres-chanteurs, il sera remplacé par Klaus Florian Vogt… sauf pour deux représentations festivalières à la fin du mois de juillet 2019. Le star-system y perd peut-être (mais Bryn Terfel en Hollandais, ça vaut tout de même le détour), mais on voit que Munich continue à proposer en matière wagnérienne une densité de programmation incomparable.

Dominique Adrian

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