Marie Lys : « Haendel est pour moi un baume pour la voix »

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Nous n’avions pas attendu l’unique représentation de l’Orlando de Haendel au Festival Castell Peralada pour nous rendre compte des grandes qualités vocales et scéniques de la soprano suisse Marie lys. Lauréate du prestigieux Concours Vincenzo Belllini en 2017, nous l’avions ainsi d'abord entendue dans le rôle d’Adèle (dans La Chauve-Souris de Strauss) l’année d’après dans une réjouissante production d’Adriano Sinivia à Lausanne. Et cette saison, nous l’aurons entendue pas moins de deux fois au Grand-Théâtre de Genève, d’abord en Servilia dans La Clémence de Titus puis dans Didon et Enée de Purcell, deux ouvrages dans lesquels elle s’est fait particulièrement remarquer. Le temps était donc venu d’aller lui poser quelques questions… 

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Opera-Online : Quels chemins vous ont amenée à devenir chanteuse lyrique ?

Marie Lys : Je crois que ma première inspiration est venue de mes parents. Quand j’étais petite, ils venaient au bord de mon lit le soir et me chantaient une berceuse pour m’endormir. C’était notre petit rituel. Et ces souvenirs font partie des moments les plus emplis d’amour dont je me souvienne. Car le don de sa voix, de son chant, est pour moi l’acte d’amour par excellence. J’ai donc toujours aimé chanter, et cela fait partie de moi. Mes parents étant musiciens classiques, c’est tout naturellement que je me suis dirigée vers le chant lyrique. L’opéra, c’est venu plus tard ; en l’expérimentant lors de mes études je suis tombée amoureuse de cette partie théâtrale qui nous permet d’explorer tant de personnages et d’émotions différentes.

Vous venez de chanter le rôle de Dorinda dans Orlando de Haendel à Peralada, avant de vous produire dans Ariodante en septembre au Festival Haendel de Göttingen, puis dans Alcina, chez vous à Lausanne, en mars prochain. Haendel semble être le compositeur pour lequel vous êtes le plus sollicitée…

En effet, j’ai la chance cette saison de pouvoir chanter les trois opéras de Haendel tirés de L’Ariosto, qui plus est dans l’ordre dans lesquels il les a composés ! Le rôle de Morgana en mars à Lausanne sera mon dixième rôle haendélien. J’aime énormément l’œuvre vocale de Haendel, qui est pour moi un baume pour la voix. On sent combien il connaissait ses chanteurs, et le soin qu’il prenait à écrire ce qui les mettrait en valeur. J’ai d’ailleurs récemment enregistré avec mon ensemble Abchordis un CD consacré à sa diva préférée, Anna Maria Strada, pour qui il a composé le rôle de Ginevra que je chanterai à Göttingen le mois prochain. Mais notre enregistrement se concentre plutôt sur des airs d’opéra inédits des contemporains de Haendel tels que Leo, Porpora, et Sarro, qui ont aussi écrit pour la Strada des choses merveilleuses. Nous espérons le publier très prochainement.

Mais vous ne chantez pas que du baroque et on a pu vous entendre autant dans les répertoires français (Werther, Pelléas) qu’italien (La Sonnambula ou Betly de Donizetti), et même l’opérette viennoise (Die Fledermaus). Vous sentez-vous aussi à l’aise dans tous les répertoires ?

J’aime varier les répertoires – j’ai même chanté en concert de la Bossa nova ! J’ai la chance d’avoir une voix flexible qui s’adapte bien à différents styles, et j’essaie d’en profiter le plus possible. Je me sens à l’aise dans tous les répertoires que j’aborde, mais avec le baroque, il y a quelque chose de différent, de plus personnel. C’est peut-être la liberté qui est donnée avec les airs da capo que l’on peut ornementer à sa guise, et qu’on retrouve souvent d’ailleurs dans le belcanto, qui me plaît aussi énormément. Betly –que je vais chanter ce mois-ci en Pologne avec Fabio Biondi et son Europa Galante – sera mon premier opéra de Gaetano Donizetti, et je suis très heureuse de pouvoir enfin chanter une œuvre de ce compositeur que j’affectionne particulièrement. Quant au répertoire français, c’est toujours un plaisir pour moi de chanter dans ma propre langue, il y a un côté très naturel.
L’opérette viennoise est un régal au niveau du jeu d’acteur, et j’ai eu la chance d’interpréter le rôle d’Adèle dans deux productions très différentes ; la première à Londres en anglais dans une production de John Copley, et la deuxième à Lausanne en allemand avec les dialogues en français – deux sortes d’humour très différent. J’aime énormément l’humour, mon cœur fait toujours de joyeux petits bonds quand j’entends les rires du public.

Comment se sont passées tant les répétitions que la représentation en elle-même d’Orlando au Festival Castell Peralada. Le travail du metteur en scène Rafael Villalobos est apparu comme assez radical…

J’appréhendais un peu le temps de répétitions extrêmement court, de deux semaines et demie, de cette production, et j’imaginais une sorte de mise en espace plutôt qu’une mise en scène complète. Mais ma surprise a été grande – c’était une magnifique production, et nous l’avons montée avec encore moins de temps que prévu pour les répétitions, puisque notre metteur en scène a dû subir une semaine de quarantaine… Covid oblige !
J’ai eu un véritable coup de cœur pour Rafael. Il était extrêmement bien préparé, mais a tout de même su nous laisser assez de liberté et s’adapter à nos personnalités, un équilibre qui j’imagine doit être très difficile à trouver, similaire à notre dilemme de chanteur : à savoir faut-il étudier le rôle à fond en ayant d’avance une idée très précise du caractère du personnage, ou au contraire rester assez neutre afin de pouvoir s’adapter aux idées du metteur en scène.
J’ai été fascinée par le parallèle que Rafael a fait entre les œuvres de deux génies séparés par les siècles (Orlando de Haendel et « Orlando : a biography » de Virginia Woolf) et par le fait que tout fonctionnait si bien avec la musique. Mon personnage de Dorinda, à la base pastoral et simple, a été transformé en celui de l’écrivaine bipolaire Virginia Woolf, et cela m’a permis d’explorer une très grande palette de couleurs et d’émotions, culminant avec une scène de folie, et un suicide.
Le processus de répétitions a été très agréable car Rafael a une grande capacité d’écoute, et il est passionné de musique et d’opéra depuis son enfance, ce qui en fait, pour moi, le metteur en scène rêvé. J’espère avoir la chance de travailler souvent avec lui.

Et sinon l’unique représentation à Peralada s’est très bien passée ; c’était la première fois que ma voix était amplifiée dans un opéra, mais grâce au talent de l’ingénieur du son Roc Mateu, ça a été une très bonne expérience. Chanter en plein air, accompagnée par ce merveilleux orchestre qu’est Vespres d’Arnadí et par les craquètements des cigognes dans leurs nids, a été une expérience magique.

Vers quels emplois aimeriez-vous maintenant vous diriger. Quels sont les rôles qui vous font rêver ?

Je suis très excitée par mes projets à venir, qui sont extrêmement variés (de Sigismondo D’India à Massenet en passant par Couperin, Rameau, Vivaldi, Telemann, Haendel, Porpora, Rossini et Donizetti). Dans le répertoire baroque, un de mes rêves est de chanter Bellezza dans Il Trionfo del Tempo e del Disinganno de Haendel, ce qui est finalement prévu l’été prochain, et je m’en réjouis beaucoup, après plusieurs annulations de concerts où je devais le chanter avec Fabio Biondi et Europa Galante. J’aimerais aussi avoir la chance de reprendre le rôle de Cleopatra dans Giulio Cesare de Haendel, car j’aime beaucoup ce personnage fort mais sensible, et les airs sont tout simplement magnifiques. Dans le répertoire plus tardif, j’ai aussi de nombreux rêves : Amina dans La Sonnambula de Bellini, Norina dans Don Pasquale, Marie dans La Fille du régiment de Donizetti, ou encore Gilda dans Rigoletto de Verdi... pour n’en citer que quelques-uns !

Propos recueillis en août 2021 par Emmanuel Andrieu

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