Rencontre avec Sergey Romanovsky : « Rossini a toujours gardé une certaine jeunesse »

Xl_sromanovsky_2021_phhugosegers © Hugo Segers

C’est la quatrième fois que le ténor russe Sergey Romanovsky est invité au Rossini Opera Festival. Il est à l’affiche d’une nouvelle production d’Elisabetta regina d’Inghilterra – initialement prévue l’été dernier – aux côtés de Karine Deshayes, et d’un prestigieux gala célébrant les 25 ans de carrière de Juan Diego Flórez à Pesaro. Nous l’avons rencontré à deux pas du Teatro Rossini pour qu’il nous explique sa préparation au rôle de Leicester et nous donne un aperçu de ses projets pour la saison prochaine.

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Opera Online : L’année supplémentaire que vous avez eue pour préparer Leicester dans Elisabetta regina d’Inghilterra vous a-t-elle permis de vous familiariser plus intimement avec le rôle ?

Sergey Romanovsky : C’était très douloureux d’apprendre l’annulation d’Elisabetta l’année dernière, mais parfois les mauvaises nouvelles doivent être prises du bon côté. J’ai pu creuser plus profondément le personnage et prendre plus de temps pour travailler ma voix pendant l’année. Cela m’a été vraiment utile, je me sentais fin prêt, j’ai trouvé des couleurs plus riches. Cet opéra est un défi pour tous les chanteurs et je pense que j’en sais plus sur le personnage aujourd’hui.  

Vous avez chanté en mars dernier à la Monnaie de Bruxelles quelques airs de Leicester pour le programme The Queen and Her Favourite, diffusé en streaming. Était-ce un entraînement à Pesaro ?

Pour une même œuvre, une version de concert avant une production mise en scène est toujours une plus-value. On se sent plus confiant, on identifie là où on doit faire des progrès. Je suis très reconnaissant envers le Théâtre royal de la Monnaie, qui nous a offert ce cadeau. Peter de Caluwe aime vraiment les chanteurs, il pense à notre développement vocal. Pour les Russes en particulier, l’italien n’est pas une langue facile, surtout qu’il faut s’imprégner du style et ressentir la musique au fond de soi. À Pesaro, la fosse d’orchestre à la Vitrifrigo Arena est très grande pour des raisons sanitaires. C’est assez peu commun, donc le fait d’avoir chanté avec l’orchestre de la Monnaie m’a beaucoup aidé à m’immerger dans la musique.

Leicester a-t-il plus les caractéristiques du soldat ou de l’amant ?

C’est avant tout un être humain comme chacun d’entre nous. Nous avons tous besoin d’amour, et peut-être les soldats plus que quiconque car ils sont sur le champ de bataille loin de leur famille. Imaginez combien ce doit être difficile pour un soldat de trouver le véritable amour quand votre situation vous en isole. Leicester a gagné la bataille, et il reste dévoué à sa femme. Mon frère est soldat depuis plus de vingt ans et m’a inspiré pour le rôle. À chaque fois que je le vois, il est très attentionné avec sa femme et ses enfants. Tout ce que nous imaginons sur les soldats est complètement différent dans le cocon familial.

Comment expliquez-vous votre goût pour la musique de Rossini ?

Je pense que ça a un rapport avec mon passé de violoniste. J’ai joué pendant presque dix ans des cadences, des variations et des lignes virtuoses. C’est devenu naturel pour moi, c’est maintenant dans mon ADN. Rossini a toujours gardé une certaine jeunesse. Sa musique, pleine de couleurs subtiles, est très inspirante. Le finale de Guillaume Tell laisse par exemple le souffle coupé, c’est magique. Rossini est cher à mon cœur, et me laisse aussi le souvenir d’interprétations mémorables au cours de ma carrière.

Vous chantez le rôle-titre d’Otello de Rossini à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, en décembre. Quels défis vous attendent avec ce personnage ?

C’est un très grand défi à tous les niveaux ! Il y a la difficulté vocale du personnage rossinien et la difficulté théâtrale du personnage shakespearien. Penser uniquement au chant peut faire perdre le personnage, donc il faut trouver le bon équilibre et les bons liens entre les deux. Otello est une guerre de ténors dans le bon sens du terme, avec des notes très aiguës. J’ai hâte de pouvoir l’interpréter à Liège, j’adore cette ville et ce théâtre. Je suis extrêmement triste que Stefano Mazzonis di Pralafera nous ait quittés. C’était un immense « père d’opéra » pour les chanteurs. J’aimerais donc lui dédier mon Otello à Liège.

Quels sont vos projets la saison prochaine?

J’ai opté pour des rôles intéressants plutôt que pour des grands théâtres. Je vais chanter dans une version de concert du Siège de Corinthe de Rossini à Athènes, qui sera un grand événement avec de superbes chanteurs. J’irai aussi au Theater Dortmund pour Frédégonde de Saint-Saëns, un projet très intéressant qui se situe entre le film et le spectacle vivant. Il y aura bien sûr Otello à Liège, et après un peu de repos, j’interpréterai le rôle-titre de Mitridate re di Ponto de Mozart, au Stanislavsky and Nemirovich-Danchenko Moscow Academic Music Theatre. Mitridate est un rôle que j’ai toujours rêvé de chanter – comme Guillaume Tell –, j’attends ce moment depuis si longtemps ! J’ai même refusé Rigoletto dans une salle très réputée pour pouvoir le faire. Et ce sera l’intégralité des cinq airs. Je terminerai la saison avec Otello à nouveau, mais à Pesaro.

Propos recueillis le 8 août 2021 et traduits de l’anglais par Thibault Vicq

Elisabetta regina d’Inghilterra, à la Vitrifrigo Arena (Pesaro) jusqu’au 21 août 2021

Crédit photo © Hugo Segers

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