Don Giovanni à l'Opéra de Toulon

Xl_don_g © Laurent Perrier

Dès l'ouverture, pour ce Don Giovanni donné à l'Opéra de Toulon, les sonorités d'un orchestre d'une incroyable verve créent la surprise, et on réalise qu'Amadeus sera bien au rendez-vous. Par la grâce d'une équipe à la fois jeune, homogène et excitante, il sera même présent tout au long de la soirée, jusqu'à l'ultime confrontation avec le Commandeur, qui nous a pétrifié comme jamais (musicalement parlant). On a compris que sans le travail tout en finesse et en profondeur de l'excellent chef israélien Rani Calderon, ce grand moment de musique n'aurait pu avoir lieu. Avec des tempi toujours alertes, Calderon – qui accompagne les recitativi secchi depuis le clavecin - a visiblement souhaité accentuer le caractère tragique du développement de l'ouvrage, et pas seulement dans les passages où la situation s'y prête (les puissants accords beethovéniens de l'Ouverture, la mort du Commandeur ou encore la scène du cimetière). Avec lui, le drame pointe jusque dans les moments d'allégresse (« Giovinette che fate », « Fin ch'han dal vino »), ajoutant à l'implacable cohérence de sa démarche. Chapeau bas maestro !

Dans le rôle-titre, le baryton polonais Michal Partyka – issu de l'Atelier Lyrique de Paris - s'affirme comme un très bon Don Giovanni, au jeu particulièrement convaincant et à l'autorité vocale affirmée, capable aussi de demi-teintes - même si on en a entendu de plus éthérées - dans la fameuse sérénade. Quant à son serviteur, il trouve en Simone Del Savio un compère de bonne et efficace routine, dont la jovialité contribue à dynamiser l'ensemble.

Beau succès également pour le ténor hongrois Szabolcs Brickner qui fait preuve d'une impeccable technique, et d'un souffle qui lui permet de faire fi des longues phases de ses arie. Grâce à sa voix à la fois puissante et superbement projetée, il campe un Don Ottavio meneur de jeu, et non pas falot, comme c'est souvent le cas avec ce personnage. Enfin, dans le rôle de Masetto – dont l'aria « Ho capito » a été transposé un ton au dessus (comme Mozart l'avait prévu au départ) -, le jeune et fringant baryton australien Damien Pass impose d'emblée une voix de qualité et une formidable présence scénique, tandis que Scott Wilde livre, de son côté, une solide prestation en Commandeur.

Du côté féminin, la distribution vaut d'abord pour la soprano autrichienne Nina Bernsteiner, qui dessine une Donna Anna noble et juvénile où, telle une héroïne hitchcockienne, le feu semble constamment couver sous la glace. La voix, fine et haut placée, sait aussi se parer de couleurs plus sombres, et la projection est parfaite. Son « Or sai chi l'onore » s'avère d'une intensité contenue admirable. L'américaine Jacquelyn Wagner ne lui cède en rien, qui incarne une Donna Elvira passionnée, vocalement solide, au médium nourri. Elle brille par sa virtuosité quasi instrumentale, notamment dans l'air « Ah che mi dici mai », livré avec un superbe aplomb. Quant à la Zerlina de la soprano Ana Kasyan, avec une voix plus corsée que ce que l'on a l'habitude d'entendre dans cette partie, sa féminité n'a que faire de coquetterie pour s'affirmer.

Déjà présentée in loco il y a quelques saisons, la production de Frédéric Bélier-Garcia s'avère exemplaire de fidélité à la musique comme au livret. Du beau travail, sobre et élégant, constamment juste, qui nous repose de tant d'élucubrations aussi intempestives que prétentieuses vues ici ou là ces dernières années. La direction d'acteurs s'avère au cordeau, avec un travail sur les regards et les attitudes pour chacun des protagonnistes qui attestent d'une authentique rélexion théâtrale. Indissociable de cette réussite, les somptueux éclairages de Roberto Venturi, les magnifiques costumes XVIIIe de Catherine Leterrier, et surtout le décor épuré de Jacques Gabel qui restitue l'atmosphère du drame grâce à des panneaux coulissants noirs qui s'entrouvrent sur des espaces de couleur plus ou moins vaste : coins de ciel, tâches de sang...jusqu'au banquet, quand le lustre s'écrase sur Don Giovanni, avant sa symbolique descente en enfer.

Une grande soirée d'opéra !

Emmanuel Andrieu

Don Giovanni à l'Opéra de Toulon, du 19 au 28 mai

Crédit photographique © Frédéric Stéphan

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