Carmen à l'Opéra National de Lyon

Xl_carmen © Opéra National de Lyon

Moins de 10 jours après sa superbe réalisation d'Ariane et Barbe-Bleue (Paul Dukas) à l'Opéra National du Rhin, Olivier Py est à nouveau sur le devant des scènes lyriques françaises, avec la reprise de sa Carmen montée il y a trois ans ici-même, à l'Opéra National de Lyon. Pour ce spectacle, la première idée du boulimique homme de théâtre français est de transposer l’habituelle Espagne de pacotille et de clichés - exit ici castagnettes et autres éventails - dans l’univers d’un cabaret parisien. Pour un metteur en scène qui aime la nudité, voilà qu’il peut s’en donner à cœur joie, avec des meneuses de revue (en lieu et place des cigarières) aux formes affriolantes et aux seins charnus (sous forme de prothèse tout de même). On y trouve aussi la drogue, le sexe tarifé, les trafics en tous genres, les flics véreux, la violence quotidienne de nos villes modernes. Et le parti pris fonctionne à merveille, cimenté par l'incroyable cohérence du propos. La seconde force du spectacle réside dans l’imposant décor conçu par le fidèle Pierre-André Weitz, composé d’un plateau tournant qui propose successivement un cabaret, le bar de Lilas Pastia, une place où se font face un bordel et un commissariat de police, des loges et les coulisses d’un théâtre. De façon intermittente, la mort rôde grâce à la présence d'un acteur qui porte une tête de mort et à un cercueil qui investit de temps à autre le plateau. Dommage qu'un problème technique – la tournette s'étant grippée pendant le II – ait entraîné l'interruption du spectacle pendant une bonne quinzaine de minutes, incident qui a cassé le rythme trépidant de la proposition scénique et déstabilisé quelque peu les interprètes au moment de reprendre leurs marques.

Le spectateur n'en a pas moins été comblé au niveau vocal. Kate Aldrich campe une Carmen (rousse) de haut vol, par la conjonction d'une voix ample et racée à un timbre mordant et attachant. La présence scénique, toute de détermination, glorifie une Carmen qui, assumant les conséquences de l'ensemble de ses actes, sans hésitation et sans nostalgie, ose vivre et aimer au grand jour. On languit déjà de la réentendre dans le même rôle aux Chorégies d'Orange cet été, d'autant qu'elle aura comme partenaire rien moins que Jonas Kaufmann. En attendant, c'est le ténor mexicain Arturo Chacon-Cruz qui incarne son amant, un Don José qui brûle des mêmes feux qu'elle ce soir, écartelé entre le sens du devoir et cet amour tentaculaire qui le submerge. Le matériau vocal, là encore, apparaît exceptionnel par l'adéquation parfaite du style, le souci du phrasé et la densité maintenue sur toute l'étendue, sans déperdition, jusque dans l'aigu.

Sophie Marin-Degor tire avec beaucoup de talent son épingle du jeu, par une Micaëla d'une fraîcheur naturelle, aisée dans son chant et suffisamment projetée, et moins oie blanche que ce que l'on a l'habitude de voir. Quant à l'excellent baryton français Jean-Sébastien Bou - qui nous a accordé une interview juste avant la représentation -, il n'a nul besoin de surcharger une voix naturellement épanouie, et subjugue par une ligne de chant d'un raffinement peu coutumier dans cet emploi.

Soulignons également la qualité expressive de Laure Barras (Frasquita) et de Valentine Lemercier (Mercedes), ainsi que l'aisance communicatrice – dans leurs rôles de travestis - de Florian Cafiero (Le Remendado) et Mathieu Gardon (Le Dancaïre), tandis que René Schirrer campe un Zuniga au verbe haut et Pierre Doyen un Moralés d'un beau mordant vocal. Enfin, signalons le remarquable travail d'ensemble mené par Nicolas Krüger à la tête des Chœurs et de la Maîtrise de l'Opéra National de Lyon.

Le chef italien Riccardo Minasi dirige avec beaucoup de verve et un vrai sens du théâtre l'Orchestre de l'Opéra National de Lyon, mais sa phalange, trop riche, en définitive pas toujours subtile, ne rend pas assez justice aux raffinements de l'orchestration de Bizet. Ce sera bien le seul bémol – avec la malheureuse panne technique – à formuler au sujet de cette superbe représentation de Carmen !

Emmanuel Andrieu

Carmen de Georges Bizet à l'Opéra National de Lyon, jusqu'au 17 mai 2015

Crédit photographique © Opéra National de Lyon

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