Laurence Dale met en scène La Cambiale di matrimonio à Pesaro

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Après Macerata pour un Don Giovanni, puis une Tosca à Naples avec Anna Netrebko, ou encore une excellente version de concert du Barbier de Séville à Rome, c’est au Rossini Opera Festival (ROF) de Pesaro que prennent fin nos pérégrinations lyrico-estivalo-italiennes. Comme ailleurs, il a bien fallu s’adapter aux conditions sanitaires imposées par la Covid-19, et seule une production scénique sur les quatre prévues a pu voir le jour : une Cambiale di matrimonio mise en scène au Teatro Rossini par l'éclectique britannique Laurence Dale (que nous avons rencontré autour d’un Spritz !). Vidée de ses fauteuils du parterre, la salle permet à l’orchestre de s’y déployer, respectant ainsi aisément la fameuse distanciation physique, et il en va de même pour le public réduit à 180 spectateurs sur les 850 possibles, à raison de deux personnes par loge en moyenne !

La Cambiale di matrimonio est un ouvrage de l’extrême jeunesse de Gioacchino Rossini – il n’avait que dix-huit ans à sa création au Teatro San Moisè de Venise en 1810 – qui apparaît surtout comme un « prototype », une sorte de ballon d’essai pour le compositeur. Cette farsa comica contient ainsi en filigrane toute cette alchimie, cette invention mélodique, cette fantaisie, cette facilité qui pourrait passer pour faussement extérieure, et dont le cygne de Pesaro fera ultérieurement preuve. L’intrigue de cette comédie en un acte est simple : Fanni et Edoardo s’aiment, mais le père de la jeune fille, le commerçant Tobia Mill, l’a déjà liée par contrat de mariage (la fameuse cambiale di matrimonio...) au riche étranger Slook, qui paiera ses dettes en retour. Mais l'on rassure le lecteur derechef, tout finira pour le mieux, et les deux tourtereaux pourront convoler en justes noces…

Le plateau vocal est un bonheur de tous les instants. La drôlerie de la basse italienne Carlo Lepore (Tobia Mill), entendue pour la dernière fois en Bartolo à l’Opéra national du Rhin en 2017, n’est plus à souligner. En excellent buffo rossinien qu’il est, son air d’entrée « Chi mai trova il dritto, il fondo » est un régal. Son compatriote Davide Giusti, quant à lui souvent applaudi à l’Opéra Royal de Wallonie (comme dans L’Elixir d’amour en 2015), possède toute l’allure du jeune premier amoureux dans le rôle pourtant assez effacé d’Edoardo. Et il peut faire confiance tant à son joli timbre qu’à la qualité de son émission pour convaincre pleinement. Découverte par nous à Toulon dans les Nozze (rôle de Susanna) en 2016, la soprano tarentaise Giuliana Gianfaldoni a fait son chemin depuis, et c’est grande joie de la retrouver dans le rôle de Fanni dans lequel elle remporte un joli succès personnel grâce à ses formidables aigus dans la cadence de son grand air « Vorrei spiegarvi il giubilo ». De son côté, le baryton ukrainien Iurii Samoilov est épatant, irrésistible de faconde qu’il se montre dans le personnage du naïf et envahissant Slook. Une mention également pour le Norton du baryton andalou Pablo Galvez qui ne manque pas de mettre son grain de sel au milieu des péripéties, tandis que Martiniana Antonie (Clarina) fait forte impression en transformant en véritable scène de séduction sa modeste aria di sorbetto  «Anch'io son giovine », dont elle ornemente la reprise avec beaucoup de chic et de goût.

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Menée tambour-battant, la mise en scène de Laurence Dale met parfaitement en valeur la fraîcheur et la spontanéité des jeunes interprètes. Surtout, elle respecte scrupuleusement le livret de Gaetano Rossi (qui fournira plus tard à Rossini ceux de Tancredi et de Semiramide), l’histoire se déroulant bel et bien ici dans l’Angleterre du XVIIIème siècle, que les somptueux décors et costumes conçus par Gary McCann (déjà à l’œuvre dans le Barbiere précité, il y a sept ans) font revivre sous nos yeux souvent éblouis. En bon Anglais, il n’a pas pu s’empêcher de glisser une pointe d’humour (toute britannique) en flanquant le canadien Slook d’un ours grandeur nature (sous la peau duquel l’on suspecte la présence du metteur en scène lui-même !...). Après avoir causé une belle frayeur à tous les protagonistes, il finit vite par se faire accepter, surtout quand il se met aux fourneaux pour contenter la joyeuse assemblée !...

En fosse, c’est le ténor russo-rossinien Dmitry Korchak qui dirige l’Orchestre Symphonique G. Rossini. Après avoir défendu des ouvrages de l’enfant du pays à sept reprises (depuis 2006), c’est la première fois qu’il dirige en Italie, alors qu’il est habitué à l’exercice dans sa patrie d’origine, où il est notamment Premier chef invité de l’Opéra de Novossibirsk. La formation pesaraise lui répond au doigt et à l’œil : l’impulsion des pupitres est sûre, les couleurs variées, mais les tempi sont parfois un peu (trop) lents.

Emmanuel Andrieu

La Cambiale di matrimonio de Gioacchino Rossini au Rossini Opera Festival de Pesaro, jusqu’au 20 août 2020

Crédit photographique © Studio Amati Bacciardi

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