Vannina Santoni : « Je préfère l'admiration à la jalousie »

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Nous aurions dû entendre la soprano corse Vannina Santoni dans le rôle de Juliette en mars à Montpellier, puis dans celui de Violetta à Saint-Etienne en juin, mais les choses en ont été autrement... A défaut, nous lui avons proposé une interview, pour revenir avec elle sur ces événements, mais aussi sur son parcours, ainsi que sur ses nombreux projets...                                             

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Opera-Online : La dernière fois que l’on vous a entendue, c’était juste avant le confinement dans le rôle d’Adina (L’Elixir d’amour) au Théâtre du Capitole. Le belcanto n’est pas le répertoire le plus fréquent dans votre agenda, pourtant vous vous y êtes glissé merveilleusement…

Vannina Santoni : Merci beaucoup ! J’ai énormément aimé chanter Adina, pourtant j’avais une certaine appréhension. Je crois sincèrement que bon nombre de rôles du belcanto ne sont d’ores et déjà plus pour moi - ou ne l’ont jamais été - parce que j’étais trop jeune à l’époque ou tout simplement pas prête. J’avais déjà chanté Adina, je pouvais donc l’aborder de nouveau avec mes acquis mais également avec toute l’expérience engrangée depuis quelques années. Ces rôles demandent de l’agilité et de la souplesse. Ils requièrent également une certaine légèreté et ma voix n’a jamais été « légère ». On peut s’y méprendre car les aigus sont francs. Mais pour que je sois à l’aise dans un rôle, il faut que je puisse me reposer dans mon médium ou dans le lyrisme des phrases. Mon souffle se porte au mieux dans de longues phrases legato plutôt que dans des vocalises. Je pourrais chanter beaucoup d’arie de certains rôles belcantistes, mais en revanche tout le rôle ne me conviendrait pas. Chaque voix possède sa personnalité…

Comment la Covid-19 a-t-elle impacté votre vie tant personnelle que professionnelle ? On devait venir vous entendre dans le rôle de Juliette en mars à Montpellier et dans celui de Violetta à Saint-Etienne en juin, mais…

Sur le plan personnel, je dois bien avouer que le confinement m’a fait énormément de bien. J’avais besoin de repos, besoin de profiter de ma famille. C’est un des aspects les plus difficiles de ce métier pour moi. Être loin de mon cocon familial... Bien évidemment, nous avons la chance d’habiter à la campagne, dans la forêt, loin des villes et des habitations, donc cela a été bien plus agréable pour nous que pour d’autres. Mon père habite à Paris et il est sujet à risques, donc je ne suis pas étrangère à l’angoisse que peut apporter le virus. Malgré tout, il faut continuer à vivre. Une partie du monde est toujours en souffrance, délaissée, méprisée, voire écrasée... Aujourd’hui plus que jamais, je me rends compte à quel point nous devons être investis. Nous devons prendre soin de notre planète et de ses habitants. Apprendre à nos enfants à cultiver la terre, leur apprendre le respect des autres, l’amour de l’art et les accompagner dans leurs découvertes, dans la recherche du beau.
Sur le plan professionnel, j’étais bien évidemment très déçue des annulations mais nous étions tous dans la même situation, à ceci près que je fais partie des artistes qui ne se sont pas retrouvés dans une situation trop inconfortable en comparaison à certains de mes collègues. Je connais des chanteurs qui ont dû repenser un autre avenir. Je dois dire que j’y ai pensé aussi ne sachant pas où nous allions…

On se rappelle votre remplacement de Sonya Yoncheva dans la Manon de Massenet à l’Opéra de Monte-Carlo en 2017. On a l’impression que c’est un moment-clé de votre carrière...Vous reprendrez d’ailleurs ce rôle qui vous a tant porté chance à l’Opernhaus Zürich en novembre prochain…

Je suis très heureuse de reprendre ce rôle à Zürich. La mise en scène de Floris Visser est très belle et je me réjouis de partager la scène avec Benjamin Bernheim. C’est un rôle long et passionnant de par sa complexité. Manon est une jeune fille qui se brûle les ailes en voulant devenir femme, elle est incapable de se résoudre à interrompre sa course. Je trouve que c’est un personnage qui vous emporte dans sa joie de vivre et ses tourments. À l’acte cinq, sans qu’on ait eu le temps de s’en apercevoir, il est trop tard. C’est une finalité qui me bouleverse. Quelque chose d’inéluctable. Quoi que l’on fasse, beaucoup de choses nous échappent.

Puis ce sera une prise de rôle qui compte toujours beaucoup dans une carrière de soprano, celui de Mélisande dans l’ouvrage de Debussy, à Lille puis à Caen…

C’est un rôle que je voulais interpréter depuis longtemps. Mais la maturité de l’interprète est importante pour comprendre l’insouciance du personnage. C’est pourquoi je suis heureuse de ne pas l’avoir abordé plus tôt. Il n’est pas question de difficulté vocale, de difficulté technique à proprement parler, mais de complexité d’interprétation. Ce qu’il y a d’extrêmement intéressant dans le rôle de Mélisande est la recherche constante de l’intonation juste et précise. Je ne parle pas seulement de justesse musicale mais de la justesse du mot, du sentiment. Comment faire comprendre au mieux ce que le personnage veut exprimer ? Debussy nous le transcrit, nous l’écrit bien entendu, mais je dois me défaire de la chanteuse pour embrasser la comédienne. C’est une construction qu’il faut faire à plusieurs je pense. Mélisande s’inscrit dans un contexte bien précis qui est différemment approché selon le metteur en scène. J’ai déjà quelques informations à propos du concept, maintenant il reste à en discuter avec les artistes. Il nous faudrait plus d’un mois de répétitions pour un ouvrage pareil. Il faut l’aborder comme une pièce de théâtre, avec tous les éléments musicaux qui nous apportent sinon des réponses, au moins des pistes bien précises. C’est un des aspects du métier qui m’anime, toute cette période de recherche, de répétition, de construction, parfois de déconstruction, pour arriver à un résultat qui continuera d’évoluer tout au long des spectacles.

A la différence de nombre de vos consœurs interviewées dernièrement, quasi toutes bardées de prix en tout genre, vous ne semblez pas être une « bête à concours » de votre côté ?... De même, vous semblez avoir peu de goût pour les réseaux sociaux…

Le sens de la hiérarchie m’est désagréable. Je conçois difficilement de monter sur scène pour y être volontairement jugée. La peur du jugement me direz-vous ? Non. Que l’on soit sur scène ou non, on ne peut éviter le jugement. Dans l’art, comme ailleurs, il y a une infinité de critères d’appréciation qui sont propres à chaque être. J’aime ce métier pour ce qu’il apporte de réconfortant, de fort, de généreux, je préfère l’admiration à la jalousie. Je n’arrive pas à exprimer en concours, et même en audition, ce que je donne et m’anime sur scène lors d’un spectacle. Quand j’entre en scène et que la salle est remplie de sensibilités prêtes à rester attentives pendant trois heures pour vivre ce que vous allez leur offrir, il n’y a pas une partie de moi qui n’est pas dévoilée, que je sois fatiguée ou malade.
Pour les réseaux sociaux, c’est tout simplement que j’ai beaucoup de mal à parler de moi. Et je n’ai jamais eu un don pour la technologie. De plus, je pense sincèrement que certaines choses devraient rester strictement privées. Il est question en ce moment d’une grave accusation de harcèlement sexuel. Que fait-on de la présomption d’innocence sur les réseaux ? Ou dans la presse…
Tout cela aurait dû se régler d’abord en privé. Contourner les procédures judiciaires en cours est une faute regrettable. On détruit des vies comme ça. Il faut savoir faire la part des choses et malheureusement les réseaux sociaux n’aident pas. C’est entre autre pour cela que je ressens le besoin de me préserver, je ne publie que ce que j’estime utile et intéressant pour les personnes qui me suivent.

Vous avez déjà dix ans de carrière derrière vous. Quel en est le souvenir le plus marquant ?

Un seul ? C’est cruel… Je vais en citer quatre par ordre chronologique. Le premier s’est passé lorsque j’étais encore étudiante au CNSMDP. J’avais été prise pour chanter le rôle principal d’une création. Nous avions donc répété pour l’unique concert donné à l’Université de Tours. J’avais eu froid la veille du concert et me suis réveillée le jour du concert complètement aphone. Vous imaginez… Personne ne pouvait me remplacer, et déjà à l’époque, j’avais un certain sens du professionnalisme. J’ai appelé mon amie Sylvie Sullé qui avait été mon professeur de chant et lui ai murmuré que j’étais aphone pour le concert. Elle m’a dit une phrase qui me suit et me porte depuis toutes ces années : « Tu n’imagines pas ce dont le corps est capable au moment où tu as besoin de lui ». Le soir je suis entrée en scène aphone et j’ai chanté la création, mon corps ne m’avait pas laissée tomber.
Mon deuxième souvenir est le remplacement de Sonya Yoncheva pour Manon à Monaco. J’ai eu une semaine pour apprendre le rôle, cinq jours de répétitions et deux spectacles. Je me souviens des spectacles où je ne me posais pas une minute à cause des changements de costumes ! C’était la course, je n’avais pas le temps de stresser !
Mon troisième souvenir - et je pense l’un des plus marquants - est la Traviata au TCE. Sans rentrer dans les détails, j’ai perdu ma maman vers la fin des répétitions. Cette période a été pour moi un mélange d’émotions diverses. Ma première Traviata, qui plus est à Paris en perdant ma maman, c’est un bouleversement indescriptible. Je ne remercierai jamais assez l’équipe du TCE pour son amour. Et le public, sans rien savoir de ce qui se passait dans ma vie, a été le plus beau public que je n’avais jamais eu. Cela reste une sorte de bulle dans ma vie.
Le quatrième est mon remplacement au pied levé de Diana Damrau dans Roméo et Juliette à la Scala. Mon agent m’appelle un matin vers 11h en me disant que la Damrau était souffrante et en me demandant si je me sentais prête à la remplacer le lendemain à la Scala de Milan si elle confirmait ne pas pouvoir chanter. J’ai réfléchi cinq/six secondes parce que je n’avais aucune raison valable de dire non. Juliette, La Scala... Evidemment ! Et voilà qu’on me rappelle vers 16h, je dois prendre le train et l’avion le soir même. J’arrive vers minuit, je ne dors pas très bien évidemment… Le lendemain, essayage costume le matin, répétition avec le chef le midi, répétition toute l’après-midi pour apprendre la mise en scène, une petite heure de repos et hop… en scène ! Ce fut une expérience fulgurante et incroyable.

Quels sont les rôles que vous rêveriez d’aborder dans un avenir plus ou moins proche ?

Dans un avenir plus ou moins proche, je pense à Blanche de la Force (Dialogues des Carmélites de Poulenc), Poppea (Le Couronnement de Poppée de Monteverdi) que j’aurais dû chanter et qui a été annulé, Desdemona (Otello de Verdi), Elisabeth de Valois (Don Carlos), Vitellia (La Clémence de Titus de Mozart) et presque tous les Puccini ! Et pourquoi pas Salome de Strauss ? Ils sont tous dans un coin de ma tête, que ce soit réalisable ou non…

Ai-je oublié de vous poser une question ?

Est-ce que j’aime ma voix ? Cela dépend des jours... Parfois j’aurais aimé pouvoir me mettre dans la peau de certains artistes. Par exemple, j’aurais profondément aimé connaître la sensation de chanter dans le corps de Maria Callas ou dans celui de José van Dam… Ce ne sont que deux exemples parmi tant d’autres !

Propos recueillis en août 2020 par Emmanuel Andrieu

Crédit photographique (c) Capucine de Chocqueuse

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