Mady Mesplé s'en est allée, « loin du monde réel »

Xl_mespl_ © AFP

C’est un nom que tout amateur d’opéra connaît, une voix que tous ou presque ont entendu, sur scène pour les plus chanceux, sur enregistrements pour les autres : Mady Mesplé, immense soprano, grande Lakmé du XXe siècle à laquelle toutes les autres n’ont de cesse d’être comparées, s’en est allée samedi 30 mai, à 89 ans.

Née à Toulouse le 7 mars 1931, elle entre avec une dispense au Conservatoire de la ville à l'âge de sept ans seulement afin d’y suivre les cours de piano et de solfège. Elle étudie ensuite la composition et ressort avec un premier prix de piano, accompagnant alors des artistes de variétés, avant de retourner à 18 ans au Conservatoire, cette fois-ci dans la classe de chant de Mme Izar-Lasson, l’épouse du ténor Louis Izar, par ailleurs directeur du théâtre du Capitole de Toulouse. Elle aura Janine Micheau comme professeur de chant à Paris.

C’est alors avec un premier prix de chant en poche qu’elle auditionne à Liège où elle débute en 1953 avec un rôle qui lui reste aujourd’hui encore associé, celui de Lakmé. La ville belge sera d’ailleurs le lieu de nombre de ces prises de rôles, telles que Rosine dans Le Barbier de Séville et Gilda dans Rigoletto. Elle ne se cantonne bien évidemment pas à cette seule scène et l’on peut l’entendre au théâtre de la Monnaie de Bruxelles, ou en Olympia à Lyon dans Les Contes d'Hoffmann, ou encore au Festival d'Aix-en-Provence en 1956 dans Zémire et Azor de Grétry.

Son talent ne met pas longtemps à toucher la capitale, où on peut la voir dès cette même année 1956. Parmi les nombreuses productions données à l’Opéra de Paris durant sa carrière, citons celle des Contes d'Hoffmann imaginée par Patrice Chéreau en 1975. Elle marquera aussi de sa présence l’Opéra Comique, avec bien entendu sa mythique interprétation du rôle-titre de Lakmé, mais aussi dans Le Barbier de Séville, Les Contes d'Hoffmann, ou bien sa participation à la création de Princesse Pauline de Henri Tomasi, du Dernier Sauvage de Gian Carlo Menotti, ou encore sa reprise des Noces de Jeannette de Victor Massé. Sa carrière ne se restreint toutefois pas à l’Hexagone et à la Belgique : en 1962, elle remplace au pied levé Joan Sutherland au Festival d’Edimbourg dans Lucia di Lammermoor, et entame parallèlement à sa carrière francophone une carrière internationale, débutant à Miami dans son rôle fétiche qu’est Lakmé, enchaînant avec les plus grandes scènes du monde : Madrid, Lisbonne, Barcelone, Londres, Amsterdam, Vienne, Munich, Montréal, Chicago, Dallas, le Met de New York (en 1972), Buenos Aires, Rio de Janeiro, le Bolchoï de Moscou (1972), Tokyo, Belgrade, etc.

Sa voix, sa technique et son talent exceptionnels lui permettent de couvrir trois octaves, d’atteindre des aigus stratosphériques (le contre-sol semblant être pour elle une bagatelle), et d’aborder de nombreux répertoires dans lesquels elle brille à chaque fois, aussi bien en français qu’en italien ou en allemand (avec une Reine de la Nuit superbe). Néanmoins, elle ne se cantonne pas au répertoire classique et n’hésite pas à s’ouvrir à la musique contemporaine. Betsy Jolas et Charles Chaynes écriront des œuvres pour elle, comme les Quatre poèmes de Sappho de ce dernier. Il reste néanmoins bien difficile de résumer en quelques lignes seulement la carrière exceptionnelle et son rayonnement, car à sa voix prodigieuse s’ajoutaient un travail acharné ainsi qu’une présence scénique et une noblesse reconnues de tous.

Au cours des années 1980, la soprano décide de se consacrer également à l’enseignement et débute durant l’été une carrière pédagogique en tant que professeur à l'Académie de Nice. C’est d’ailleurs à cette même époque qu’elle quitte la scène opératique afin de se consacrer davantage aux récitals, et de chanter à titre exceptionnel pour le gala en l’honneur des 90 ans d'Alain Daniélou le 19 octobre 1987 à l'espace Cardin. Elle ne cesse toutefois pas d’enseigner, occupant des postes aux conservatoires de Lyon, Bordeaux et Saint-Maur-des-Fossés, ou encore à l'École normale de musique de Paris. Elle organise également de nombreuses master classes (notamment à l'abbaye de Sylvanès) et au CNIPAL, mais aussi à Navarrenx dans les Pyrénées-Atlantiques. Elle est par ailleurs appelée dans de nombreux jurys, tant en France qu’à l’international, et participe à la popularisation de l’art lyrique grâce à diverses interventions télévisées, se faisant ainsi connaître de ce que l’on appelle « le grand public », qui peut aussi l’entendre par le biais des ses très nombreux enregistrements puisqu’elle est une des cantatrices françaises ayant le plus enregistré.

Las, on lui diagnostique en 1996 la maladie de Parkinson. Elle est alors âgée de 65 ans, et confie cette souffrance dans un livre qu’elle publie en 2010 chez Albin Michel, La Voix du corps : vivre avec la maladie de Parkinson dans lequel elle écrit : « Chanter face au public m’aidait à oublier que j’étais malade car son enthousiasme me galvanisait. Maintenant, je n’ai même pas envie de chanter pour moi. Ma voix s’est tue. » Elle aura préalablement fait ses adieux à la scène en 2001, à l’âge de 70 ans.

Ainsi, celle qui rêvait initialement de devenir pianiste mais qui y avait renoncé face à son don pour le chant s’est éteinte ce weekend, entourée de sa famille, dans son appartement toulousain situé à seulement 200 mètres du Théâtre du Capitole où elle pouvait, depuis son enfance, satisfaire son goût pour la musique jusqu’à ce que la maladie l’en prive.

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