Silla de Haendel ressuscité au Festival Enescu de Bucarest

Xl_69696075_2429023443799773_9173782082462154752_o © Alex Damian

Tous les deux ans, durant presque tout le mois de septembre (du 31 août au 22 septembre cette année), Bucarest vit en musique grâce au George Enescu Festival dont la réputation a largement dépassé les frontières de la Roumanie pour s’imposer comme l’un des plus importants d’Europe. Il propose en effet une impressionnante série de plus d’une centaine de concerts à spectre très large, en accueillant les plus grands orchestres (Berliner Philharmoniker, Royal Concertgebouw Orchestra, Orchestre National de France, Staatskapelle de Dresde, London Symphony Orchestra…) et solistes du moment (E. Kissin, J. Fischer, N. Freire, V. Repin, Y. Wang…). Il a aussi pour vocation de mettre en avant l’œuvre du compositeur George Enescu (1881-1955) - véritable héros national qui a longtemps vécu en France -, la plupart des concerts proposant une pièce du musicien roumain. Mais si la musique de chambre et symphonique ont la première place, la musique vocale a été particulièrement mise sous les feux de la rampe en cette 24ème édition, avec de nombreux récitals lyriques (Joyce DiDonato, Diana Damrau, Rolando Villazon, Kristine Opolais, Bryn Terfel …) et opéras en version de concert (Die Frau ohne Schatten, Agrippina, Leonore, Orfeo ed Euridice, Giulio Cesare in Egitto…).

Parmi ceux-ci, nous avons pu entendre une rareté absolue : Silla de Georg Friedrich Haendel. L’œuvre est d’ailleurs même carrément un cas d’espèce puisqu’il s’agit de l’unique ouvrage lyrique écrit par le compositeur allemand pour un mécène privé, et du reste jamais représenté de son vivant… Haendel s’empressant d’en piller ensuite la musique pour en faire l’essentiel d’Amadigi, spectaculaire opéra à machines destiné à consolider ses premiers succès londoniens.  Ce qui frappe dans cette partition, outre sa brièveté (deux heures de musique), c’est l’absence de complexité du livret, sans méandres ni intrigues secondaires, tout entier focalisé sur les exactions du personnage principal, dictateur romain dépeint ici comme un pervers polymorphe, imprévisible et libidineux. Mais tout se termine bien, dans la paix retrouvée, pour la plus grande gloire du tyran enfin assagi. Certes, l’ouvrage n’est sans doute pas ce que l’illustrissime maestro a composé de plus puissant, mais il réserve néanmoins de très beaux moments, en particulier dans les duos. Enfin, Silla trouve dans l’Athénée Roumain, une des plus belles salles de concert d’Europe, un cadre parfaitement adapté : dimensions intimes, ambiance feutrée, scène à peine éloignée du public… l’œuvre se joue à portée de main.

Dans le rôle-titre, la contralto italienne Sonia Prina incarne son personnage de manière on ne peut plus abject, et la voix suit, autant à l’aise dans les vocalises débridées que dans le chant legato. Même satisfecit pour l’américaine Vivica Genaux : avec son physique idéal pour les travestis, son mezzo ambré qui monte avec vaillance vers l’aigu, sa courbe de chant flexible, et ses roulades expressives, elle campe un Lepido de rêve, toujours entre fureur et désespoir. Particulièrement remarquée au Festival d’Innsbruck deux semaines plus tôt, la soprano italienne Francesca Lombardi Mazzulli (Celia) nous gratifie à nouveau de son splendide timbre, et sa vocalisation est non seulement véloce, mais toujours musicale et agréable à l’oreille. Dans le rôle de Flavia, la soprano italienne Roberta Invernizzi comble également les attentes : avec son timbre de velours, elle projette un chant coloré, tantôt éclatant, tantôt susurré, d’où exhalent tous les états d’âme de son personnage. De leurs côtés, Silvia Beltrami déploie son superbe mezzo pour les épanchements de Claudio, tandis que Sunhae Im offre une magnifique prestation dans le rôle gratifiant, musicalement et scéniquement, de Metella (la femme de Silla). Enfin, la basse italienne Nicolo Donini, qui n’a pas grand-chose à faire, se montre néanmoins un fort compétent Dio.

Dirigeant du violon son ensemble Europa GalanteFabio Biondi rend pleinement hommage à la partition du caro sassone, et y dégage de belles nuances, avec d’intéressants tempi. Dès l’Ouverture, il dirige avec nerf et conviction son orchestre, mais les détails ne sont pour autant point négligés, tandis que les récitatifs s’avèrent expressifs, et les airs parfaitement rendus, avec la justesse dramatique nécessaire. Le plus beau passage est sûrement le duo enre Celia et Claudio où, de concert avec les chanteuses, il baisse le volume de l’orchestre et laisse progressivement s’éteindre la musique…

Emmanuel Andrieu

Silla de Georg Friedrich Haendel au Festival Enescu de Bucarest, le 5 septembre 2019

Crédit photographique © Alex Damian

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