Benjamin Prins met en scène un brillant Fantasio d'Offenbach pour Opera Zuid

Xl_fantasio © Joost Milde

Si les Pays-Bas ne disposent que d’une seule maison lyrique (à Amsterdam), l’opéra est cependant bien présent dans toutes les grandes villes du pays grâce à deux compagnies itinérantes : le Reiseopera - dont nous avions assisté à une production (du Barbier de Séville) au Théâtre de Maastricht en 2013 - et Opera Zuid. Cette dernière structure, basée à Maastricht, est dirigée depuis deux ans par le metteur en scène belge Waut Koeken, dont nous avons chroniqué nombre de régies dans ces colonnes (dont dernièrement Un Bal masqué de Verdi à Nantes), et dont l’enthousiasme est bien connu : « L'Opéra nous touche au plus profond de notre âme et fait appel à l'imagination inépuisable de l'humanité. Opera Zuid commence à travailler avec cet enthousiasme et donne ainsi vie aux plus grands opéras de manière unique ». Parmi les trois titres que contient la saison, c’est Fantasio de Jacques Offenbach qui a été retenu pour la clôturer, alors que l’ouvrage a connu un regain d’intérêt ces derniers temps, grâce à la mise en scène de Thomas Jolly, diversement appréciée cependant, comme en témoignent les comptes-rendus d’Alain Duault à Paris ou d’Elodie Martinez à Montpellier.

C’est au jeune et talentueux metteur en scène français Benjamin Prins (aidé par Pénélope Driant) que Koeken a confié le soin de mettre en images le spectacle, avec encore plus de réussite (selon nous) que son confrère, car il a très bien senti comment le livret désenchanté (d’après Musset, rappelons-le) pouvait entrer en résonnance avec notre époque elle-même désenchantée. Peu de différence, pour ce qui est du « fonds », entre la Commune insurrectionnelle de 1870 et le mouvement social (incarné par les Gilets jaunes) que nous connaissons actuellement en France : « Tout comme la représentation macabre du futur par Alfred de Musset, un pessimisme profond règne aujourd’hui et la jeunesse perdue qu’Alfred de Musset dépeint dans Fantasio ressemble beaucoup à celle d’aujourd’hui » confesse Prins. Son projet esthétique suit l'intrigue à la lettre et il façonne (à l’aide de sa décoratrice et costumière Lola Kirchner) un univers onirique où cohabitent genres, époques et langages, avec une invention foisonnante et une imagination débridée qui parviennent à transcender le livret. Le besoin de paix est sublimé dans cette pièce à travers l'extraordinaire histoire d'amour entre Elsbeth et Fantasio, qui se rencontrent sans se voir, en chantant (comme dans Il Trovatore de Verdi…), elle la princesse sacrifiée à la paix du pays (comme Iphigénie, juste sans le bûcher), et lui, un jeune adulte qui refuse les compromissions. Parce que Fantasio parle de la stupidité de toutes les souffrances (de la guerre, des mensonges, de la mascarade...), Prins se sert donc ici des codes du carnaval (il y a des références aux peintures de James Ensor), avec une profusion de costumes et de masques, qui passent souvent d’une période à l’autre, et la soirée s’achève dans une véritable apothéose, à la fois carnaval ou festival des fous, conçus par le célèbre collectif Fashion Clash... et qui a provoqué un tel enthousisame parmi le public qu'il s'est levé comme un seul homme !

La Mezzo française Romie Esteves (Fantasio) offre une prestation pleine de naturel et de fluidité, soutenue par une voix au timbre sombre et velouté. Une incarnation parfaite qui donne envie de la voir dans Vous qui savez ce qu’est l’amour, spectacle mis en scène par Benjamin Prins au Théâtre de l’Athénée en Février 2019 (qui sera repris la saison prochaine...), dans lequel la chanteuse incarne tous les rôles des Noces de Figaro à elle seule ! De son côté, la soprano russe Anna Emelianova est une princesse Elsbeth à l’allure fantomatique et éthérée, à la voix bien assurée, et qui décoiffe par son assurance dans l’aigu. Prins a eu l'idée de lui confier les dialogues parlés dans sa propre langue, nimbant le personnage d'encore un peu plus d'étrangeté. Il faut aussi relever l’efficacité comique du binôme que forment Roger Smeets (prince de Mantoue d’un narcissisme parfaitement ridicule) et Thomas Morris (un Marinoni plein d’entrain et de cocasserie). Les trois étudiants campés par Ivan Thirion, Jeroen de Vaal et Jacques de Faber, tour à tour punks et junkies, nous offrent une belle galerie de portaits de la jeunesse (contestataire) d’aujourd’hui. Huub Claessens impose son autorité autant que sa bienveillance en Roi de Bavière tandis que Francis van Broekhuizen nous vaut un Flamel plein de verve. Enfin, dans la fosse, le chef allemand Enrico Delamboye reconstitue - à la tête de l’Orchestre philharmonique du sud des Pays Bas - un paysage sonore tonique, aux phrasés élégants et saillants. On retrouve ainsi, dans ce volet musical, les traits savoureux d’Offenbach, un univers sonore cohérent et un génie qui est ici à son zénith.

Emmanuel Andrieu

Fantasio de Jacques Offenbach en tournée au Pays-Bas avec Opera Zuid (du 2 mai au 30 juin 2019)

Crédit photographique © Joost Milde

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