Le Barbier de Séville à Maastricht

Xl_barbiere_reisopera © Nationale Reisopera / Marco Borggreve

Après avoir tourné un peu partout en Hollande (Rotterdam, Utrecht, Eindhoven...), cette production du Barbier de Séville de Rossini, signée par l'ex-ténor vedette Laurence Dale, finissait sa course au Théâtre de Maastricht, dernière à laquelle nous avons eu la chance d'assister. Il s'agit là de la quatrième collaboration entre le Nationale ReisOpera et Laurence Dale, qui a déjà signé, pour la compagnie lyrique itinérante néerlandaise, Les Contes d’Hoffman, L’Opera Seria (de Gassmann), et le diptyque La Voix Humaine/L’Heure Espagnole. Maillon essentiel de la vie lyrique aux Pays-Bas, le NRO se trouve actuellement confronté à d'importants défis. Après le départ de son directeur historique, Guus Mostart, son successeur Nicolas Mansfield a dû faire face à une réduction de 64% des subventions gouvernementales. Beaucoup ont pensé que c'était la fin du Nationale ReisOpera, mais Nicolas Mansfield a fait face, repensé la structure de sa compagnie, et réussit à lui donner un nouvel élan, avec une politique par ailleurs audacieuse. Présente à la Première (triomphale) de ce Barbier à Enschende (port d'attache du NRO), la Ministre de la Culture des Pays-Bas a évoqué « une compagnie en pleine résurrection » : des jours meilleurs se profilent ainsi pour le NRO, et nous nous en réjouissons.

Le polyvalent Laurence Dale - il est également un excellent chef d'orchestre, ce que nous avons pu constater alors qu'il dirigeait l'Evian Festival Orchestra, festival dont il a assuré la direction artistique pendant treize ans - ne laisse aucun répit aux protagonistes de ce jouissif spectacle. A l’image de la musique et de la direction d’Antonino Fogliani, sa mise en scène s’avère de bout en bout pétillante, réjouissante et d’une remarquable fluidité. Tirant parti d’une distribution vocale où les chanteurs ont l’âge des personnages, il y insuffle un véritable esprit de troupe, avec un mouvement et une complicité qui n’appartiennent qu’au théâtre.

Son travail scénique peut paraître parfois déroutant, mais il s'en explique dans des notes d'intentions, et ses choix finissent par (nous) convaincre. Pour commencer, il multiplie par trois le personnage de Berta : « Pourquoi 3 Bertas ? J'ai toujours trouvé que l’on n’entend généralement pas assez les voix aiguës dans les finales de l'ouvrage de Rossini, couvertes par les voix d’hommes du chœur et des solistes. Ainsi, pour rééquilibrer vocalement ces morceaux, j'ai eu l'idée de ces deux voix féminines supplémentaires. Par ailleurs, plutôt que sacrifier à la tradition en faisant de Berta une vieille femme « négligée » et sans amour, mes trois Bertas sont ici « glamour », et elles se manifestent comme des bonnes fées, un peu comme Alidoro dans La Cenerentola. Elle résolvent les problèmes auxquels sont confrontés Rosina et Almaviva, en fournissant par exemple la liste de blanchisserie pour Rosina, en amenant Bartolo hors de la maison ou en enlevant l’échelle pour enfermer les amants dans la maison... ».

La production ne se cantonne pas dans une seule époque : certains personnages portent ainsi des perruques de l’époque de Rossini, mais Figaro se déplace par exemple sur une vespa (même à l'intérieur de la maison de Bartolo !). Le Comte Almaviva est présenté comme une star du show-biz, le CD qu'il n'arrête pas d'exhiber avec beaucoup de fierté tout au long de la soirée - avec son visage en gros plan sur la pochette - en témoigne ! Le ténor retenu ce soir campe à merveille ce rôle de vedette de variété, qui fait penser tour à tour à Julio Iglesias, Mario Lanza ou encore Freddie Mercury.

Les décors et costumes de Gary McCann sont éblouissants et renvoient aux couleurs chaudes et vibrantes de la méditerranée. L’Espagne est évoquée au travers de faïences vernaculaires, traitées en mosaïques - comme celles qu'on peut admirer au Parc Güell de Gaudi à Barcelone -, collées sur trois immenses panneaux mobiles, et maniées à vue par des techniciens habillés en noir (dont on remarque à peine la présence,et qui impressionnent par leur dextérité). Les trois éléments de décor créent tour à tour les ruelles de la ville, ou les différentes pièces de la maison de Bartolo, dans lesquelles se jouent parfois trois histoires en même temps, éclairant ainsi les différentes intrigues de l'ouvrage, donné ici sans coupures.

La distribution vocale réunie par Nicolas Mansfield comble toutes les attentes. A commencer par le ténor britannique Mark Milhofer qui, dans le rôle du Comte Almaviva, fait montre d’une rare présence, et de talents de comédien époustouflants. On savoure son superbe timbre de tenore di grazia, ses magnifiques demi-teintes, le beau cantabile de sa ligne de chant, et son savant jeu de contrastes et de dynamiques, indispensables dans le répertoire belcantiste. Notons enfin qu’il n’esquive pas le fameux Rondo final du II, « Cessa di più resistere », qu'il délivre avec une grande maestria.

De son côté, Karin Strobos incarne avec beaucoup de conviction une Rosina à la fois piquante, mutine et pulpeuse. Dotée d’un timbre sombre et cuivré, elle sait varier les couleurs de sa voix avec art, et impressionne autant par la puissance de l’instrument, que par la profondeur des graves.

Peter Bording campe un Figaro incroyablement hâbleur, véloce et charmeur. Doté d’une voix solide et pleine d’abattage, le baryton néerlandais ne fait qu’une bouchée du « Largo al factotum », maîtrisant de manière très satisfaisante le syllabisme vertigineux de cet air célébrissime. On admire également la maîtrise du souffle, impeccable, tandis que l’aigu et le grave se révèlent solides par l’éclat et la stabilité du son.

Très applaudi au rideau final, le célèbre baryton italien Bruno Pratico inscrit son Bartolo dans la meilleure tradition des buffi, avec un matériau vocal étonnamment préservé. Digne d’attention également, le Basilio de la jeune basse anglaise Nicholas Crawley qui, avec son timbre naturellement riche et son registre grave impressionnant, délivre un saisissant air de la calomnie. Enfin, le trio de Berta (Zinzi Frohwein, Sonja Volten & Ruth Willemse), aux voix impeccablement conduites, campent chacune leur personnage avec un comique irrésistible, qualités que l'on attribuera également au baryton turc Bora Balci (Fiorello). Précisons que ces quatre derniers chanteurs appartiennent au « Programme des jeunes artistes » du Nationale ReiseOpera

A la tête d’un Het Gelders Orkest dans une forme éblouissantes, le talentueux chef italien Antonino Fogliani va immédiatement à l’essentiel et dénude, avec une précision diabolique, les ressorts de ces délires instrumentaux organisés dont Rossini avait le secret. Toujours soucieux d’assurer à chaque épisode un déroulement implacable, il fait mousser son accompagnement orchestral, sans jamais appuyer le trait. Il contribue largement au succès du spectacle, qui obtient une standing ovation dès le baisser du rideau final.

Emmanuel Andrieu

 

Le Barbier de Séville au Théâtre de Maastricht

Tournée en Hollande du 22 novembre (Enschede) au 20 décembre (Maastricht) 2013

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