Olivier Lepelletier : « Un écran ne remplacera jamais un rideau rouge ! »

Xl_olivier-lepelletier-interview-opera © DR

Demain 14 mars à 17h, le site de l’Opéra de Marseille proposera la diffusion (gratuite) du dernier spectacle de l’institution phocéenne, Le Pays du sourire de Franz Lehar, capté sans public au Théâtre de l’Odéon le 27 février dernier. Maurice Xiberras a confié la mise en scène au protéiforme homme de scène Olivier Lepelletier, dont nous avions beaucoup goûté l'élégance de son travail sur La veuve joyeuse dans ce même Théâtre de l’Odéon en 2019, où il a également signé une Périchole remarquée l’année dernière. Personnage aussi sensible que passionné, Olivier Lepelletier nous a dévoilé son parcours, sa passion pour l’art lyrique (et pour la cité phocéenne !), et ses rêves de mises en scène…

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Opera-Online : Quel est votre parcours et comment êtes-vous arrivé à la mise en scène d’opéra ?

Olivier Lepelletier : Je suis né à Marseille. A l’âge de onze ans, j’ai commencé à étudier le piano classique. Adolescent, je gagnais mon argent de poche en étant figurant à l’Opéra de Marseille. C’est dans cette maison que ma passion pour l’opéra est née. J’ai eu la chance d’y côtoyer Gwyneth Jones, Leonie Rysanek, Grace Bumbry, Leona Mitchell, Fiorenza Cossotto, Luciano Pavarotti, Leo Nucci... Lors des répétitions, j’observais tout, la mise en scène, les décors, les costumes, les lumières, je posais mille questions. C’est dans un théâtre que je voyais ma vie ! J’ai suivi cependant des études de commerce et de finances, car mes parents voulaient s’assurer que j’ai un « vrai métier » ! (rires) Mais cette passion m’a vite rattrapé et le temps de quelques productions, j’ai été régisseur au Festival d’Aix-en-Provence, puis au Théâtre des Champs Elysées. Ma rencontre avec le metteur en scène Albert-André Lheureux a été déterminante. J’ai été son assistant sur de nombreuses productions, notamment à l’Opéra de Marseille, à l’Opéra national de Bordeaux, en Belgique, à l’Opéra National de Tallinn en Estonie, ou j’étais également coach de diction française pour Carmen. J’ai ensuite été engagé comme Régisseur Général du Moulin Rouge à Paris, car l’univers du cabaret m’a toujours fasciné. Son rythme endiablé de deux spectacles par soir, sept soirs sur sept, le maintien au quotidien d’une excellence à la renommée internationale, m’ont énormément appris sur tous les métiers liés au spectacle, autant artistiques que techniques. Mais le désir de mettre en scène était toujours là. Et j’ai eu la chance de rencontrer Maurice Xiberras, directeur de l’Opéra de Marseille et du Théâtre de l’Odéon, qui a su être à l’écoute de mes envies et de mes motivations. Il m’a proposé de mettre en scène La Veuve Joyeuse de Franz Lehár en 2017, qui a été reprise en 2019. Et la saison dernière, j’y ai mis en scène La Périchole de Jacques Offenbach.

Vous venez de mettre en scène Le Pays du sourire de Lehár à Marseille qui a été vidéo-capté en vue d’une diffusion le 14 mars sur le site de l’Opéra de Marseille. On sait que les contraintes sanitaires obligent les metteurs en scène à revoir leurs copies. Qu’en a-t-il été pour vous ?

Ce fut une grande joie de retrouver la scène, les artistes, l’orchestre, les équipes du théâtre. Mais aussi une terrible frustration de ne pas pouvoir jouer devant un public. Il y avait à la fois ce sentiment d’être privilégié de pouvoir exercer notre métier, grâce à la ténacité et l’engagement de son directeur, mais aussi les doutes et les interrogations quant à l’avenir de notre métier et la tournure qu’il risque de prendre. Un écran ne remplacera jamais un rideau rouge ! D’ailleurs un « écran », c’est ce qui fait barrage, alors que notre métier est un échange et un partage avec le public.
Les artistes étaient testés régulièrement pendant les répétitions, et le protocole sanitaire mis en place par le théâtre respecté minutieusement par tout le monde. Nous avons effectué quelques aménagements car les contraintes de distanciation nous ont amené à réduire le nombre d’artistes du chœur et de musiciens dans la fosse. Je voudrais souligner à cet égard l’excellent travail minutieux du chef Emmanuel Trenque qui a insufflé à l’orchestre une élégance et des couleurs en parfaite osmose avec ma mise en scène. J’ai également fait de nombreuses coupures dans les dialogues, car la captation vidéo doit garder un rythme soutenu, surtout en l’absence du public. Le livret français est très bavard, avec beaucoup de longueurs, et ce fut naturel de le réduire à son minimum. Cette version plus courte correspond finalement très bien à ma vision de l’œuvre.

Justement, de quelle vision personnelle avez-vous tenté d’éclairer l’ouvrage doux-amer de Lehár ?

Le Pays du sourire est un ouvrage du répertoire de l’opérette, mais c’est une œuvre dramatique, un opéra-comique. Je pense que Lehár le voulait ainsi. Je me suis rapproché de la version originale allemande, beaucoup moins légère que la version française, en m’attachant à la fluidité musicale de l’œuvre et surtout à son intensité dramatique. C’est en lisant la partition, en l’écoutant, en la jouant au piano, que j’imagine ma mise en scène : mes émotions viennent avant tout de la musique. J’ai besoin de temps pour préparer une mise en scène, pour m’approprier la musique, les textes, les personnages, échanger en amont avec le chef d’orchestre, les solistes ; c’est comme une gestation ! Et ensuite j’ai le baby blues ! J’ai pris quelques libertés quant au contexte historique en situant l’action à la fin des années 1920, décennie qui commence à libérer les femmes, notamment au niveau des mœurs, de la mode, de la pensée. Lisa est un personnage moderne, qui fait fi des convenances sociales. C’est une jeune femme émancipée, qui suit son instinct, son cœur, ses pulsions sexuelles, et n’a pas peur de prendre les devants face à un Sou-Chong paralysé et conditionné par le poids des traditions familiales. Face à Vienne la Rouge qui vit ses derniers instants d’insouciance et de liberté infinie avant l’arrivée de l’austro-fascisme, j’ai imaginé une Chine austère et sombre, où les interventions du chœur peuvent faire penser aux tragédies antiques. C’est là que va se jouer le drame, non seulement pour Sou Chong et Lisa, mais aussi pour Mi et Gustave, deux personnages très émouvants, victimes collatérales du dénouement.
La différence des cultures et des religions n’empêche pas l’amour, mais le poids de la pression familiale et sa soumission peuvent mener à des situations dramatiques (ou extrêmes). Cela a toujours existé et existe encore aujourd’hui. C’est pour cela que j’ai voulu des personnages un peu « hors temps ». J’ai eu la chance de travailler avec une distribution talentueuse, jeune et très investie.

Après La Veuve Joyeuse et La Périchole, ce Pays du sourire est votre troisième mise en scène au Théâtre de l’Odéon de Marseille. Vous semblez avoir un lien fort avec cette ville et son opéra ?

Je suis Marseillais et amoureux de ma ville ! Le soleil, la mer, l’opéra ! J’y retourne autant que possible, c’est là que je me ressource. C’est à l’Opéra de Marseille que j’ai eu mes premiers émois lyriques. C’est à l’Opéra de Marseille que j’ai fait mon premier assistanat à la mise en scène sur Mireille de Gounod. C’est au Théâtre de l’Odéon de Marseille que j’ai fait ma première mise en scène. Oui, j’ai un lien fort avec la cité Phocéenne. De plus, Maurice Xiberras est un directeur d’opéra fidèle, qui sait créer des liens affectifs entre les metteurs en scène, les distributions et les équipes artistiques et techniques de ses théâtres. Y travailler, c’est comme travailler en famille. Chaque production est une belle aventure artistique et humaine. L’Opéra de Marseille et le Théâtre de l’Odéon sont des maisons chères à mon cœur, je m’y sens bien.

Avez-vous de nouveaux projets ? L’opéra « dramatique » vous attire-t-il ?

Je participe à l’organisation du Printemps de la Mélodie de l’Académie Francis Poulenc à la Salle Cortot à Paris en vue d’une diffusion en direct le 20 mars prochain. Je reviendrai à Marseille la saison prochaine pour une nouvelle production de La Vie Parisienne et une reprise de La Veuve Joyeuse.
Et bien entendu que l’opéra « dramatique » m’attire ! Il y a tellement d’opéras qui me passionnent. Mais vous savez, ce sont souvent les directeurs d’opéras qui font les choix pour les metteurs en scène ! Cependant je peux vous dire que j’aimerais aborder Thaïs, Mireille, Traviata, Semele, Alcina… et aussi Macbeth qui fut mon premier coup de foudre lyrique. Et Robert le Diable !  Et Mefistofele ! Il y en a tant ! (rires)
Mais mon plus grand souhait aujourd’hui, c’est la réouverture des salles de spectacle et de retrouver le public. De retrouver une vie normale. En attendant, je me concentre sur le moment présent, hic et nunc

Propos recueillis en mars 2021 par Emmanuel Andrieu
 

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