Eleonore Marguerre: « Les artistes ont besoin du public »

Xl_eleonore_marguerre © DR

Nous avons découvert la soprano allemande Eleonore Marguerre dans Der Zwerg (Le Nain) de Zemlinsky à l’Opéra National de Lorraine en 2013, mais elle passe avec autant de bonheur du répertoire dramatique à celui de l’opérette, où nous l’avons notamment applaudie dans Le Baron Tzigane à Genève ou encore La Chauve-Souris à Lausanne, ouvrage dans lequel nous venons de la retrouver à l’Opéra de Rennes. L’occasion d’aller à sa rencontre pour qu’elle nous parle de son parcours, de cette Chauve-Souris signée par Jean Lacornerie, mais aussi de ses rêves de rôles…              

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Opera-Online : Vous êtes allemande mais avez un nom de famille bien francophone ?... Et au-delà de vos origines familiales, quel a été votre parcours personnel/professionnel ?

Eleonore Marguerre : Mon grand-père était né à Bruxelles, mais a ensuite déménagé à Heidelberg où je suis née. Toute la famille étant amatrice de musique, il fallait pour tout le monde jouer d’un instrument, et j’ai dû faire du violon à partir de l’âge de cinq ans, mais c’est toujours le chant qui m’a attirée. A treize ans, j’ai intégré un petit chœur de chambre avec lequel j’ai pu voyager dans le sud de la France pendant deux semaines. J’ai toujours beaucoup aimé les langues et j’ai passé six mois en Angleterre quand j’étais adolescente, et deux autres mois en France…
Après le bac, j’ai fait mes études à Karlsruhe et Vienne, et j’ai bientôt commencé à travailler…  En 2001, j’ai chanté le rôle d’Eurydice dans Orphée aux enfers à la Komische Oper, et en 2002 La Reine de la nuit à Düsseldorf et Mannheim. Entre 2003 et 2007, j’ai chanté au sein de la troupe de l’Opéra de Weimar où je suis restée avec mon mari (NDLR : le ténor Uwe Stickert) et mes deux enfants. C’est drôle de chanter aujourd’hui La Chauve-Souris à Rennes car c’est dans une production de cet ouvrage que nous nous sommes rencontrés en 2005 – lui comme Alfred et moi comme Rosalinde... J’ai aussi eu un très bon contact avec le directeur et metteur en scène Jens-Daniel Herzog, grâce à qui j’ai pu interpréter un de mes rôles préférés : Natasha dans Guerre et Paix de Prokoviev, lors de la saison 2018/2019, à l’Opéra de Nuremberg. Depuis que j’ai un agent français (NDLR : l’ancien baryton René Massis), je travaille régulièrement en France et en Allemagne.

Vous chantez actuellement le rôle de Rosalinde dans une nouvelle production de La Chauve-Souris à l’Opéra de Rennes. Pouvez-vous nous parler de la mise en scène de Jean Lacornerie ?

Dans la mise en scène à Rennes, un choix très particulier a été fait car ce ne sont pas nous qui disons les dialogues, mais une actrice omniprésente sur scène. J’ai adoré travailler avec Anne Girouard à qui incombe cette tâche, et bien sûr le metteur en scène Jean Lacornerie. J’espère que notre projet a bien réussi : celui d’imiter un film muet avec une synchronisation. Évidemment, il manque pour nous un peu la liberté du jeu dans les textes mais je trouve que l’œuvre est beaucoup plus facilement accessible à un public qui probablement ne connait pas très bien tous les détails de La Chauve-Souris. Et j’ai adoré les chorégraphies de Raphaël Cottin, qui sont très délicates et intelligentes…

On vous avait déjà entendue dans le rôle à Lausanne, mais aussi dans celui de Saffi dans Le Baron Tzigane du même Johann Strauss à Genève. C’est un répertoire que vous affectionnez ?

Moi, j’aime beaucoup l’opérette ! A Vienne en 2001, la production de mon diplôme d’opéra, c’était Wiener Blut de Johann Strauss également, dans une production du fameux metteur en scène d’opérettes Robert Herzl. Il nous disait : « L’opérette, c’est la chose la plus difficile à faire… il faut très bien chanter, mais aussi être beau, savoir danser et être très bon dans la comédie ! ». Et après vingt ans de carrière, c’est toujours tout aussi vrai pour moi : être drôle, c’est la chose la plus difficile. Et La Chauve-Souris est vraiment un chef-d’œuvre, et c’est ici encore plus difficile à chanter car on n’a pas d’entracte pour pouvoir se reposer, à cause de la « version Covid »…

Mais vous chantez également des parties autrement plus lourdes comme récemment Natacha dans Guerre et Paix de Prokofiev à Nuremberg ou Violetta dans La Traviata à Düsseldorf… Les transitions vers des répertoires plus dramatiques ne sont pas trop compliquées ?...

Oui, je suis très contente d’avoir une large gamme dans le répertoire. Je suis par exemple très contente de pouvoir participer à la création de Frankenstein de Mark Grey avec La Fura dels Baus en 2022 à l’Opéra de Wroclaw en Pologne. Il faut toujours de nouveaux défis pour s’améliorer, et travailler sa voix encore et encore : j'ai un coach américain avec qui je travaille mes nouveaux rôles, mais aussi une professeure de chant, une merveilleuse dame de 88 ans ! Et, avec la crise du Coronavirus, on a compris qu’il fallait vraiment beaucoup pratiquer le chant, comme ont besoin de s’entraîner les grands champions de sport ; à cet effet, j’ai organisé avec des collègues musiciens dans mon grand jardin à Weimar plus de treize concerts ou messes pour 50/60 personnes environ... Les artistes ont besoin du public, car l’art est avant tout une communication entre les êtres humains !

Quels sont vos autres projets ainsi que vos désirs de rôles ?...

Avant le Frankenstein dont je viens de vous parler, j’aurai la reprise de cette Chauve-Souris à Avignon le mois prochain, puis à Toulon pour les fêtes de fin d’année. Et j’ai trois autres productions qui m’attendent, partiellement répétées mais qui ont dû être reportées : Le Vin herbé de Frank Martin à l’Opéra de Francfort, Der Freischütz à Nuremberg et enfin La Traviata à Erfurt.
Sinon, vous me demandiez les rôles dont je rêve… Et bien dans le domaine de l’opérette, ce serait le rôle d’Hanna Glawari dans La Veuve joyeuse, que je n’ai chanté qu’une seule fois, en version de concert. Avec Stephan Genz (NDLR : qui chante le rôle d’Eisenstein à Rennes), on rêverait de faire ensemble un jour Giudita de Franz Lehar...  Sinon, je suis une fan de Richard Strauss et d’Alexander von Zemlinsky. Je devais chanter en début d’année dans Der Traumgörge à l’Opéra de Francfort, mais la production a été annulée, et j’espère qu’elle sera reprise à l’avenir… Et j’aimerais bien interpréter à nouveau le rôle de La Princesse dans Der Zwerg du même Zemlinsky, ou encore chanter celui de L’Impératrice dans Die Frau ohne Schatten

Propos recueillis en mai 2021 par Emmanuel Andrieu

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