Le Baron Tzigane de Strauss à l'Opéra des Nations de Genève : avant tout pour la musique !

Xl_le_baron_tzigane © Carole Parodi

Pour les fêtes de fin d’année, l’Opéra des Nations de Genève a eu la bonne idée de monter un ouvrage rarissime sous les latitudes francophones, Le Baron Tzigane de Johann Strauss II, donné dans une version française moitié moins longue que la version originale (qui dure plus de 4h !), mais qui au moins fait la part belle à la musique, plutôt qu’à de longs (et souvent fastidieux) passages parlés.

On s’en plaindra d’autant moins que la partie musicale est le plus grand motif de satisfaction du spectacle, grâce à l’admirable direction de Stefan Blunier, qui nous avait déjà « scotché » (nous l’écrivions ainsi !) in loco dans Wozzeck en début d’année, puis, un peu plus tard, dans de bouleversants Dialogues des carmélites à la Staatsoper de Hambourg. Sous sa battue, l’ouvrage de Strauss manifeste une vraie parenté avec l’opéra romantique allemand : utilisation fréquente du mélodrame alla Weber, recherche de la couleur locale, complexité d’écriture des ensembles et finales, ligne de chant soutenue et inhabituellement lourde pour ce répertoire. L’interprétation du maestro suisse privilégie aussi l’aspect sérieux de l’ouvrage : les valses gardent les pieds bien sur terre et ne s’envolent nullement avec les rubati habituels les épisodes tziganes s’entêtent à lorgner vers Liszt, la pâte orchestrale reste de préférence épaisse et assiège l’oreille au risque de la saturer parfois, les rythmes martiaux des marches perdent leur clinquant de pacotille et ainsi de suite… Empoignant la partition à bras-le-corps, Blunier ne commet cependant pas l’erreur de gommer toute référence au charme désuet du genre. L’accompagnement instrumental se caractérise bien sûr par sa précision analytique et l’attention presque excessive portée à la couleur des vents, gratifiés de fort beaux soli, mais il garde tout de même assez de grâce et de sensualité dans le mélange des timbres pour faire chavirer les cœurs... comme dans la fameuse Valse du trésor !

Pourquoi nous « étendre » autant sur la musique ?... C’est aussi parce que nous n’aurons pas grand-chose à dire sur la partie scénique (confiée au metteur en scène allemand Christian Räth), qui s’avère un des pires ratages de l’institution genevoise auxquels nous ayons assistés depuis huit ans que nous fréquentons cette maison (comme chroniqueur) ! Car comment ne pas relever les manques d’un travail de mise en scène d’une aussi triste banalité !? Présenter les tziganes comme des rockeurs/bikers/loubards n’est pas une idée exploitable sur une soirée entière, surtout quand ils évoluent sur un immense jeu de société (une idée dont le metteur en scène ne fait strictement rien !), un espace sur lequel les personnages sont par ailleurs livrés à eux-mêmes… tandis que les choristes s’y bousculent dans une incroyable pagaille ! Passons vite...

Les chanteurs s’en tirent mieux, mais on sent pourtant que le cœur n’y est pas, et qu’ils prennent beaucoup sur eux pour faire croire au public qu’ils croient eux-mêmes à ce qu’on leur fait faire ! Remplaçant au pied levé Christophoros Stamboglis, le baryton autrichien Wolfgang Bankl délivre les parties chantées de Zsupan en allemand tandis qu’un comédien se charge des parties parlées en français, ce qui ajoute à la cacophonie régnant déjà sur scène… Par bonheur, en vieux briscard qu’il est, cet artiste - qui fait partie de la troupe de la Staatsoper de Vienne depuis plus de 25 ans ! - apporte son indéniable métier et sa faconde toute viennoise à son truculent personnage. Il est - aux côtés de la superbe Saffi de la soprano allemande Eleonore Marguerre (quel timbre ! quel chien !) - la principale satisfaction vocale de la distribution. Mais il faut aussi citer l'Arsena de la talentueuse Melody Louledjian (déjà formidable Princesse Elsbeth dans Fantasio ici-même le mois dernier), le toujours sémillant Loïc Félix (Ottokar), l’impayable Jeannette Fischer (Mirabella) et la non moins pétulante Marie-Ange Todorovitch (Czipra). En retrait se place le rôle-titre, confié au ténor français Jean-Pierre Furlan, toujours handicapé par son timbre insupportablement nasal et ses dons de comédiens franchement limités. Mais c’est toujours mieux que le Comte Carnero de Daniel Djambazian qu’il convient d’oublier séance tenante…

Encore une soirée sauvée par la musique…

Emmanuel Andrieu

Le Baron Tzigane de Johann Strauss à l’Opéra des Nations de Genève, jusqu’au 6 janvier 2018

Crédit photographique © Carole Parodi
 

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