Rigoletto à Luna Park au Festival de Macerata

Xl_rigoletto_macerata_2019_foto_zanconi-recensione © Zanconi

Après un Macbeth jubilatoire la veille (en dépit des insuffisances du rôle-titre), le programme de la 55ème édition du Festival de Macerata se poursuit avec un autre titre de Giuseppe Verdi : Rigoletto. Déjà représentée in loco il y a quatre étés de cela, la production imaginée par Federico Grazzini (spécialiste des « grands espaces », que l’on se remémore son Nabucco au Thermes de Caracalla en 2017) s’avère plutôt originale, avec la transposition de l’intrigue dans l’univers d’un Luna Park. La scénographie conçue par Andrea Belli est dominée par un énorme et décadent masque de clown dont la gueule démesurément ouverte sert aussi comme lieu de passage aux protagonistes. Sur les côtés, éclairés par des lampadaires qui diffusent une lumière triste, des baraquements de forains sont alignés et semblent désaffectés, les lieux étant devenus une zone interlope où se côtoient désormais toutes sortes de drogués et autres prostituées. L'action se déroule en partie dans une caravane (lieu de vie de Gilda) et dans un food-truck (où Sparafucile exerce toutes sortes de trafics) posés au milieu du terrain vague, mais elle reste assez statique la plupart du temps, malgré le soin apporté par le chœur (renforcé par six danseuses) pour dynamiser la scène. Le réalisateur dit s’être inspiré du film « Pulp Fiction » de Quentin Tarantino : cela débute fort avec une scène de viol collectif (celui de la fille de Monterone, mais plus suggérée que montrée…) lors d’une des scènes d’orgie dont le Duc est coutumier. La duplicité du rôle-titre - père aimant mais qui pousse le Duc aux pires atrocités - est ici souligné par le changement permanent de ses tenues variées et diverses. Les costumes signés par Valeria Donata Bettella apportent une touche de contemporanéité (ceux du Duc notamment, du jaune acidulé de son smoking à son blouson de cuir noir).

Après avoir triomphé dans le rôle de Nabucco à l’Auditorium de Lyon en novembre dernier (notre collègue Elodie Martinez y était), Amartuvshin Enkhbat ne compose pas moins un Rigoletto impressionnant. On retrouve ici le baryton mongol parfaitement maître de ses moyens, mais surtout composant un personnage extrêmement fouillé, plus pitoyable que caricatural, plus père que bouffon. Si le ton sait être mordant, il sait également être tendre... Ses derniers airs émeuvent durablement. Très attendu, après sa prise de rôle à l’Opéra de Marseille le mois dernier, Enea Scala renouvelle sa prodigieuse performance, offrant au Duc de Mantoue son jeu et sa présence en scène remarquables, ses accents convaincants, mais aussi sa projection franche, avec une voix qui ne cesse de se corser et brunir. Il s’abandonne à ce portrait d’un Duc/Don Juan/chef de bande avec un évident plaisir… La soprano italienne Claudia Pavone (Adalgisa de rêve la saison passée à l’Opéra de Rennes) se situe à la même hauteur que ses partenaires, prêtant à Gilda sa jeunesse et la beauté de son chant. Sans rien de l’oiseau mécanique que l’on nous propose trop souvent, sa Gilda se situe dans le droit fil de la tradition belcantiste, tant dans la précision des attaques que dans la variété de l’ornementation. Elle délivre notamment un éblouissant « Caro nome », salué par une salve d’applaudissements de la part du public. Sans être spécialiste, nous préférons la parfaite plastique de Martina Belli à sa voix (plus hasardeuse), mais saluons en revanche les ténébreuses résonnances de l’excellente basse catalane Simon Orfila. Les comprimari n’appellent aucun reproche, avec une mention pour le Monterone percutant et sonore de la basse coréenne Seung-Gi Jung.

L’équipe vocale, tout autant que l’Orchestre Philharmonique des Marches et le Chœur lyrique Vincenzo Bellini, semblent beaucoup apprécier le jeune et fringant chef italien Giampaolo Bisanti (que nous aimons beaucoup aussi : Anna Bolena à Liège cette année, I Capuleti en 2018 à Lisbonne ou encore La Sonnambula la même année à Lausanne…), en qui ils reconnaissent un direttore aussi rassurant que dynamique : il est vrai qu’il offre une lecture nerveuse de la partition - et d’une autorité sans faille -, tout en restant constamment à l’écoute des chanteurs…

Emmanuel Andrieu

Rigoletto de Giuseppe Verdi au Festival de Macerata, jusqu’au 9 août 2019

Crédit photographique © Zanconi


 

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