Le duo Roels/Servais signe une Bohème minimaliste et mortifère à l'Opéra Grand Avignon

Xl_image-48 © Cédric Delestrade

Comment se couler dans la tradition tout en marquant de sa propre griffe une mise en scène de La Bohème en 2019 ? Avec cette nouvelle production à l’Opéra Grand Avignon, le duo Frédéric Roels / Claire Servais a surtout choisi la carte de la simplicité (et le respect du temps du livret). Aucune relecture savante ou crypto-freudienne ici, mais une mise en place soignée qui laisse respirer les personnages sans jamais les abandonner à eux-mêmes et épouse le rythme de l'action : turbulente au début du premier acte, joyeuse au deuxième, fébrile et tendue au troisième, jusqu'à la mort de Mimi au quatrième, d'une émouvante retenue. Dans une scénographie stylisée, sobre et austère (signée par Lionel Lesire, qui conçoit également les costumes), l'ombre de la mort plane sur tout le spectacle, et l'on ne devra compter que sur la robe rouge de Musetta pour apporter un peu de couleur sur scène, car même le célèbre acte de Momus ne propose aucun décor nouveau, si ce n’est quelques loupiotes tombant des cintres et diffusant un éclairage terne…

Moult fois entendue dans la cité papale, Ludivine Gombert n’a pas besoin de tousser à qui mieux mieux pour se montrer émouvante en Mimi. Avec sa petite robe blanche et ses cheveux lisses, son entrée ressemble plutôt à celle d’une écolière sage et bien élevée, et sa mort est l’extinction timide d’une jeune fille fragile, qui n’aurait jamais eu l’idée de dissimuler sa clé ou de souffler exprès sa chandelle. Côté voix, son timbre pudique mais soutenu, d’une étoffe soyeuse, appuyé sur un souffle égal et malléable, épouse les exigences du chant puccinien. Las, annoncé souffrant, le ténor italien Davide Giusti est à peine audible en Rodolfo, mais après son décevant Alfredo in loco l’an passé, on pense qu’il se fourvoie dans ce répertoire, et qu’il ferait mieux de retourner vers le belcanto romantique où il excelle (cf : Elisir d’amore à Liège ou plus récemment Capuleti à Lisbonne), plutôt que forcer ses moyens naturels au risque d’y laisser définitivement sa voix…

En grande forme, le jeune baryton français Philippe-Nicolas Martin est un Marcello lyrique, puissant, et surtout soucieux de faire vivre un personnage complexe. De son côté, Olivia Doray (déjà entendue dans cette partie à l'Opéra de Rouen en 2017) joue Musetta avec beaucoup de chien mais son éclat n’est pas seulement scénique, sa voix fraîche possédant souplesse et brillant. Le bondissant Boris Grappe s’avère parfaitement distribué en Schaunard, ce qui est le cas aussi du Colline de la basse britannique David Ireland, dont la moindre intervention est un plaisir. Enfin, le Chœur et la Maîtrise de l'Opéra Grand Avignon déploient toutes les vitamines requises dans leurs quelques apparitions à l'acte II.

En fosse, le chef principal de l’Orchestre Régional Avignon-Provence, Samuel Jean, tient sa phalange (et son plateau) avec un dynamisme qui force l’admiration. Avec autant de précision que de rigueur, il veille à l’architecture générale de l’ouvrage, tout en respectant la couleur sonore particulière de chacun des actes.

Emmanuel Andrieu

La Bohème de Giacomo Puccini à l’Opéra Grand Avignon, les 18 & 20 janvier 2019

Crédit photographique © Cédric Delestrade

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