John Nelson subjugue dans "Béatrice et Bénédict" au Festival Berlioz

Xl_b_atrice_et_b_nedict_au_festival_berlioz © Bruno Moussier

Comme chaque été, le point d’orgue du Festival Berlioz est bien évidemment l’exécution d’un de ses ouvrages lyriques (parfois deux), et après Les Troyens à Carthage l’an passé, c’est Béatrice et Bénédict qui était à l’honneur, pour cette édition 2022, dans la cour du château Louis XI de La Côte St André, village de naissance de Hector Berlioz. Pour commencer, précisons que c’est une version un peu spéciale qui est donnée ce soir, débarrassée de ses dialogues au profit d’un texte de liaison, écrit par Richard Eyre pour la mouture 1980 du festival de Buxton, et délivré ici par l’excellent récitant qu’est Eric Génovèse, sociétaire de la Comédie-Française, qui avait déjà rempli le même office l’an passé sur Les Troyens précités.                        

Deux mois après avoir triomphé ensemble dans un autre ouvrage de Berlioz (son poème symphonique Roméo et Juliette), le chef américain John Nelson et l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg se retrouvent et renouvellent le miracle de leur dernière collaboration, après celles – tout aussi mémorables – sur Les Troyens en 2017 et sur La Damnation de Faust en 2019, les deux fois au Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg. Tout juste trente ans après avoir gravé l’œuvre, un enregistrement de référence paru à l’époque cher Warner/Erato, le chef américain a récemment rappelé l’attachement qu’il éprouvait pour l’ouvrage le plus mozartien du célèbre compositeur français, et cela s’entend pendant les deux heures que dure cette splendide version de concert. Vive sans précipitation, légère et ferme, l’impulsion est là, dès les premières mesures d’une ouverture jamais bruyante malgré les éclats de cuivres, soutenant la conduite mélodique au-dessus des incises thématiques qui tentent toujours de l’éparpiller. C’est affaire d’équilibre et de dosages subtils entre les pupitres, et l’on chercherait en vain un moment où les excellents musiciens de l’OPS ne donnent au chef tout ce qu’ils peuvent attendre d’une partition lumineuse, dont il connaît les moindres secrets. Et à cette magnifique dynamique répond par ailleurs celle idoine d’un Chœur Spirito et d’un Jeune Chœur Symphonique parfaitement préparés par Nicole Corti (et ses adjoints Pascal Adoumbou et Tanguy Bouvet).

Les chanteurs réunis à La Côte St André comblent les attentes, hors hélas l’un des deux rôles-titres, un Toby Spence (Bénédict) à la peine ce soir, visiblement dans un mauvais jour, en espérant que cela ne soit pas plus grave, tant la voix apparaît comme fatiguée. Annoncée souffrante, c’est en revanche l’enthousiasme que suscite la prestation de la mezzo américaine Sasha Cooke en Béatrice. Avec une voix où transpirent tour à tour l’inquiétude, l’émotion, et la passion vibrante dans son grand air « Il m’en souvient », elle nous offre le plus beau moment vocal de la soirée. Nulle tension dans cette page qui fut conçue pour un grand soprano lyrique, mais à laquelle la tradition associe le timbre plus capiteux des mezzo-sopranos.

Le (sublime) duo nocturne entre Héro et Ursule, « Nuit paisible et sereine », ne manque pas de faire passer le long frisson d’émotion que l’on sait, les voix de Vannina Santoni et Beth Taylor s’associant idéalement, ce dont le public les remercie par de chaleureux applaudissements. Jérôme Boutillier et Paul Gay sont parfaits en Claudio et Don Pedro, le premier s’affirmant par l’éclat d’une voix de bronze et le second par une ligne de chant de toute beauté. Enfin, la jeune basse française Julien Véronèse (dont une interview est à suivre dans ces colonnes), à la voix sonore et affirmée, se taille un franc succès dans le rôle comique de Somarone – et dans un tableau où Berlioz se moque de lui-même autant que de ses admirations et de ses haines...

Emmanuel Andrieu

Béatrice et Bénédict de Hector Berlioz à La Côte St André, le 30 août 2022

Crédit photographique © Bruno Moussier
 

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