Tomislav Lavoie : « La voix n’est jamais un produit fini »

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Basse de plus en plus prisée par nos scènes hexagonales (Ariane et Barbe-Bleue de Dukas à Lyon), mais aussi internationales (Les Contes d’Hoffmann à Valencia), la basse québécoise Tomislav Lavoie a déjà exploré une grande variété de rôles, de Haendel (Rinaldo ou comme récemment Israël in Egypt au Festival Berlioz) à Mozart (Don Giovanni), et de Gluck (Alceste) à Meyerbeer (Les Huguenots). C’est à Budapest que nous venons de le retrouver, pour une rare exécution des Abencérages de Luigi Cherubini, l’occasion de lui tendre notre micro avant de le retrouver - à l’Opéra de Lille en mai prochain - dans A Midsummer night’s dream de Britten (rôle de Theseus).

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Opera-Online : Vous êtes canadien mais avec un prénom slave et un nom français, un indice sur vos origines ? Quel a été votre parcours et comment est née votre vocation pour le chant lyrique ?

Tomislav Lavoie : Je suis né et j’ai grandi au Québec mais ma mère est Serbe d’origine. Elle est arrivée au Canada à l’âge de 17 ans dans les années 60. Je n’ai malheureusement jamais appris le serbo-croate, mais j’ai toujours eu de l’aisance et une affinité naturelle pour le répertoire slave, probablement à force de l’entendre dans mon entourage quotidien. D’ailleurs je rêverais de pouvoir chanter le prince Grémine sur scène…
Pour ce qui est de ma vocation pour le chant lyrique, elle m’est venue un peu par hasard et sur le tard. J’ai d’abord été formé comme violoniste au Conservatoire de musique de Montréal, avant d’évoluer dans plusieurs orchestres symphoniques dont principalement celui de la ville de Québec. Après une carrière de presque dix ans, et un peu las de la dynamique de groupe de l’orchestre, j’ai repris des études de chant à l’université de Montréal. J’ai eu la chance dès ma première année d’interpréter le rôle de Masetto dans Don Giovanni après qu’un de mes collègues soit malheureusement tombé malade. J’ai appris le rôle en moins d’une semaine et ce fut pour moi une révélation.  La particularité « d’art total » de l’Opéra m’a complètement conquis, en plus de me sentir de manière surprenante à l’aise sur scène malgré mon manque total d’expérience.

Votre répertoire comporte de nombreux rôles dans des opéras baroques, mais aussi des opéras français (Ariane et Barbe-Bleue, Les Contes d’Hoffmann, Les Troyens), du Mozart (Don Giovanni ou La Flûte enchantée), voire du Verdi (La Traviata). Est-ce un choix de votre part de ne pas vous spécialiser ?

Pas vraiment… Etant arrivé un peu tard dans la profession, ma priorité a d’abord été de me faire connaître et de pouvoir vivre de mon art. J’ai donc dû me montrer flexible et prêt à essayer différents styles de répertoire. Je crois aussi que c’est une nécessité aujourd'hui avec les demandes du métier d’être polyvalent. Le plus important pour moi étant de ne pas chanter trop tôt les rôles plus lyriques.

On vous a récemment entendu dans Ariane et Barbe-Bleue à Lyon. Comment avez-vous conçu votre personnage, si important et finalement si discret dans l’ouvrage de Paul Dukas. Comment s’est passé le travail avec le trublion espagnol Alex Ollé ?

C’est effectivement un peu bizarre d'interpréter le rôle-titre d’un opéra mais de ne pas être plus sollicité que ça vocalement. Malgré tout, ayant une relation professionnelle et amicale de longue date avec Alex Ollé (Faust à Amsterdam en 2014 et Alceste à Lyon en 2017), nous avons fait en sorte que le personnage soit vraiment présent au niveau dramatique. Le personnage de Barbe-Bleue étant très complexe, il en a donc résulté pour moi un travail de jeu d’acteur extrêmement intéressant dont je garde un excellent souvenir.

Vous êtes actuellement à Budapest pour une version concertante des Abencérages de Luigi Cherubini qui fait également l’objet d’un enregistrement discographique pour le label du Palazzetto Bru Zane. Ce n’est pas la première fois que vous participez à la résurrection d’ouvrages français oubliés pour le Palazzetto ?

Non j’ai également participé à la résurrection de la Reine de Chypre de Jacques Fromenthal Halévy au TCE en 2017 qui a également fait l’objet d’un enregistrement primé. De plus, j'ai souvent collaboré avec le Centre de Musique Baroque de Versailles, régulièrement partenaire du Palazzetto (NDLR : les deux structures sont dirigées par les deux frères Alexandre et Benoît Dratwicki), pour des productions comm Armide de Lully, à Innsbruck et Potsdam, et très prochainement Ariane et Bacchus de Marin Marais au TCE sous la baguette d’Hervé Niquet.

Et que pourriez-vous nous dire sur vos espoirs et vos challenges, ainsi que la vision de votre futur en tant que chanteur ?

J’ai déjà un certain nombre de rôles d’importance à mon actif : Leporello, Figaro et Don Alfonso dans Mozart, Méphisto de Gounod, les quatre diables d’Offenbach, mais avec la maturité vocale qui commence à s’installer, j’aimerais bien sûr évoluer vers les grands ouvrages de Giuseppe Verdi et ses grands rôles de basse chantante : Philippe II est un rôle qui me fait rêver depuis longtemps. Le Golaud de Debussy également…
J’ai eu la chance de pouvoir être formé par Marie Daveluy, grande professeure de chant de Montréal qui est aussi le mentor de Marie Nicole Lemieux et Karina Gauvin. Son approche du métier de chanteur est celle d’un perpétuel recommencement. La voix n’est jamais un produit fini, figé dans le temps, elle est en mouvement et en évolution constante. Il faut être à l’écoute de son instrument pour être en mesure d’en respecter les limites mais aussi les ambitions. Réaliser mon plein potentiel vocal et artistique, voilà la grâce que je me souhaite…

Propos recueillis en mars 2022 par Emmanuel Andrieu

 

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