Les Abencérages de Luigi Cherubini ressuscités au MÜPA de Budapest

Xl_les_abenc_rages_de_cherubini_au_m_pa_de_budapest © Emmanuel Andrieu

Méconnus sans être tout à fait oubliés, les principaux opéras de la période française de Luigi Cherubini (Lodoïska, Les Deux journées, Les Abencérages) ne sont connus que grâce à quelques enregistrements discographiques. C’est donc tout à l’honneur du Palais des Arts de Budapest (MÜPA) – en collaboration avec le Palazetto Bru Zane qui a installé ses micros afin d'immortaliser le moment pour sa luxueuse collection discographique – de ressusciter, en version de concert, le dernier et le plus ambitieux de ces trois ouvrages : Les Abencérages ou l’étendard de Grenade.

Créés à l’Opéra de Paris (Salle Montansier) devant Napoléon 1er et Joséphine en avril 1813, Les Abencérages sont un chaînon essentiel entre la tragédie lyrique et le grand opéra romantique, entre les ouvrages de Lully et Gluck et le genre du Grand Opéra dont Guillaume Tell de Rossini, Les Huguenots de Meyerbeer ou encore Les Troyens de Berlioz sont les plus beaux exemples. Dans le premier acte, on découvre dans le grandiose ouvrage de Cherubini un parfum troubadour (l’air d’Almanzor « Enfin, j’ai vu renaître l’aurore »), de nombreux chœurs de fêtes, ou l’air archaïsant « Aux rives du daro ». Dans le deuxième, se dévoilent les subtiles variations des fameuses « Folies d’Espagne » et des élans d’héroïsme ou d’émotion (de l’air de Noraïme « Ô toi l’idole de mon cœur » ou celui d’Almanzor « J’ai vu disparaître »). Et enfin, de la grandeur, dans le dernier acte, avec l’air de Noraïme « Epaissis tes ombres funèbres », rehaussé d’une introduction pathétique traitée en musique de chambre, qui précède un beau duo d’amour auxquels font contraste l’air très noir du terrible Alémar, puis la scène du jugement où le héros frôle la mort avant un magistral retournement de situation.

Par bonheur, la production est superbement défendue par une distribution de choix, essentiellement francophone – hors l’Almanzor du plus francophile des Lituaniens, l’excellent ténor Edgaras Montvidas ! Il se tire d’une partie ardue avec une grande vaillance, avec son beau timbre clair et son excellente diction de notre langue, et un style complètement adapté à ce répertoire. La jeune soprano toulousaine Anaïs Constans (Noraïme) ne lui cède en rien en termes de style et de clarté d’élocution, doublée d’une émission franche et d’une sensibilité vocale qui donnent le frisson. En Gonzalve (et troubadour), le ténor d'origine arménienne Artavazd Sargsyan offre une prestation qui allie agilité dans les ornements et belle présence scénique. Un superbe quatuor de voix graves vient compléter l’affiche : le baryton français Thomas Dolié prête au noir Vizir des accents rageurs à travers son grand air « D’une haine trop longtemps captive », la basse québécoise Tomislav Lavoie (que nous avons interviewé à cette occasion) impressionne de son côté par ses graves profonds, tandis que Philippe-Nicolas Martin (Kaled) et Douglas Williams (Abderam) font tous deux preuve d’une belle intensité vocale, le premier par des aigus parfaitement négociés, et le second grâce à la noblesse de ses accents.

Spécialiste de ce répertoire (il a déjà collaboré à la résurrection de la Phèdre de Lemoyne et de l’Adrien de Méhul pour le Palazetto dans ce même Auditorium Béla Bartok du MÜPA), le chef hongrois György Vashegyi – à la tête des deux formations qu'il a fondées, l’Orchestre Orfeo et le Chœur Purcell – transcende cette partition, en la dirigeant de main de maître, et en lui restituant toutes ses saveurs et ses couleurs, mais surtout sa grandeur et son lyrisme. Après ces trois heures d’une musique aussi jouissive que géniale, on comprend mieux l’admiration que Félix Mendelssohn vouait aux Abencérages : « J’ai la partition des Abencérages dans les mains, et je ne cesse de me réjouir de son feu étincelant, de ses transitions intelligentes, de la pureté et de la grâce qui font le style de son auteur. Je suis vraiment reconnaissant envers ce vieux Monsieur. Tout y est si libre, si audacieux et si brillant »…

Emmanuel Andrieu

Les Abencérages ou l’étendard de Grenade de Luigi Cherubini au MÜPA de Budapest, le 9 mars 2022.

Crédit photographique © Emmanuel Andrieu

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