Semiramide de Rossini à l'affiche de l'Opéra de Lyon

Xl_semiramide © DR

Les 18 & 20 novembre, l'Opéra de Lyon met à son affiche, en version de concert, un des ouvrages les plus emblématiques des opéras serie de Gioacchino Rossini : Semiramide. Serge Dorny - directeur de l'institution de la Capitale des Gaules - a su réunir un plateau vocal (Elena Mosuc, John Osborn, Ruxandra Donose, Michele Pertusi) susceptible de rendre justice à cet ouvrage vocalement très exigeant. Notons que son alter ego marseillais Maurice Xiberras vient de relever le même défi avec brio en offrant – également sous forme concertante – une série de représentations en tous points enthousiasmantes de Moïse et Pharaon, du même Rossini. Après nous être penché la semaine dernière sur ce dernier ouvrage, Opera-Online revient sur la genèse et la « substantifique moelle » de Semiramide, un des plus purs chef d'œuvres du Cygne de Pesaro (et du bel canto en général).   

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En 1823, âgé de 31 ans, Rossini accepta d'écrire Semiramide pour la Fenice de Venise, et ce fut le dernier opéra qu'il composa pour l'Italie. A l'époque, il ne s'en doutait pas mais, devenu un musicien de dimension internationale, il allait à l'avenir chercher fortune à Londres et à Paris. C'était à Venise que sa carrière avait commencé avec La Cambiale di matrimonio au Théâtre San Mosè en 1810. L'Inganno felice, La Scala di Seta, L'Occasionne fa il ladro et Il Signor Bruschino suivront dans le même théâtre. Il était désormais prêt à lancer son opera seria Tancredi à la Fenice et ce fut son premier succès international.
En 1815, le remarquable impresario Domenico Barbaja l'engage comme compositeur attaché au San Carlo de Naples. Là il rencontre la prima donna espagnole Isabella Colbran qui devait devenir sa première femme et pour qui, pendant les sept années qui suivirent, il composa dix opéras serie, d'Elisabetta à Otello, Armida, Mosè, La Donna del Lago et Maometto II. Vers 1822, Rossini aspire au changement, alors qu'il est le plus important des compositeurs italiens, et que ses œuvres sont jouées dans toute l'Europe. En grand novateur qu'il a été, on lui doit l'introduction des ensembles – non plus une suite d'arias les uns après les autres – pour admettre enfin la diversité des duos, trios et toutes les formes d'ensembles. L'accompagnement n'est plus joué par le clavecin seul, mais par les cordes ou par tout l'orchestre. Rossini invente des effets musicaux tout à fait inédits pour les vents et les cuivres. Les chanteurs désormais vont suivre de près les notes écrites par le compositeur plutôt que de s'en servir comme d'une structure sur laquelle ils brodaient leurs propres arabesques vocales.

En 1823, il retourne à Venise pour monter deux opéras pendant le carnaval d'hiver : une version révisée de Maometto II et une œuvre entièrement nouvelle pour laquelle il va demander la somme inouïe pour l'époque de 5000 francs or, soit quatre fois plus que pour Il Barbiere. La nouvelle œuvre sera Semiramide, basée tout comme Tancredi sur une pièce de Voltaire (Sémiramis, 1748), déjà mise en musique par Heinrich Graun à Berlin (1754). Le livret est confié à Gaetano Rossi qui avait déjà collaboré à son premier opéra La Cambiale di matrimonio, ainsi qu'à Tancredi. L'intrigue est tirée d'une légende ancienne, et a déjà été à la source d'innombrables livrets d'opéras dont notamment la Semiramide Riconosciuta de Metastasio que Giacomo Meyerbeer avait mis en musique en 1819. Rossini consacra 33 jours à l'ensemble de la partition – et déclara quelques années plus tard que c'était la seul occasion dans sa carrière où il avait pris son temps !

L'Intrigue

La légende dit que tout enfant Sémiramis fut nourrie par les colombes. Après être devenue reine et avoir régné pendant 42 ans, elle se change en colombe et s'envole. Heureusement, la tragédie de Voltaire et le livret de Rossi sont plus théâtraux ! S'y reflète un mélange d'Hamlet, d'Oreste et d'Oedipe. Le lieu de l'action est l'ancienne Babylone. Avec son amant Assur, Semiramide a, il y a quinze ans, tué son mari, le roi Ninus. Semiramide est maintenant amoureuse d'un autre général de son armée, Arsace, dont elle ignore qu'il est son propre fils. L'action principale consiste en la découverte par Arsace, aidé du Grand Prêtre de Baal, Oroe, du meurtre de son père et de sa propre identité. Alors que Semiramide est sur le point d'annoncer son choix d'un mari, la tombe de Ninus s'ouvre et son fantôme révèle tout à Arsace. Une intrigue secondaire est formée autour de l'amour que porte Assur à Azema, une princesse également aimée le prince Idreno et par Arsace lui-même ! Le dénouement a lieu dans le mausolée de Ninus, où Arsace tente de venger le meurtre de son père en tuant Assur. Semiramide qui a découvert grâce à Oroe qu'Arsace est son fils se jette entre les combattants et est tuée par ce fils.

Certes le livret manque parfois de souplesse – et l'on peut critiquer l'intrigue secondaire où les trois principaux personnages masculins sont tous amoureux de la Princesse Azema -, mais les rapports entre les personnages sont cependant clairement marqués, relativement vraisemblables et tout à fait adéquats pour le découpage lyrique en airs et ensembles. Bref, le livret « marche ». En fait, la première difficulté qu'on rencontre pour structurer la partition de Semiramide vient de ses énormes proportions, semblables à celles du Crépuscule des Dieux - pour prendre un exemple certes plus tardif. Pour la première à la Fenice, le 3 février 1823, l'ouvrage fut donné en deux actes. Le premier durait deux heures et demie, le deuxième presque autant. Rossini la raccourcit à l'occasion de diverses autres représentations. En 1860, on en fit un grand opéra en 4 actes, Sémiramis, pour l'Opéra de Paris. François-Joseph Méry (plus tard l'un des librettistes du Don Carlos de Verdi) était responsable de la traduction et le vieil ami de Rossini, Michele Carafa, écrivit une musique nouvelle pour les récitatifs français - et pour l'inévitable ballet ! Huit ans plus tard, en 1868, Rossini écrivit trois nouvelles cadenze pour les débuts d'Adelina Patti dans le rôle de Semiramide. Ce qui signifie que l'on possède plus de 5 heures de musique pour cet ouvrage, mais personne n'a jamais eu la possibilité de l'entendre intégralement. Comme aujourd'hui une représentation ne dure guère plus de 3 heures (entracte compris), le chef d'orchestre et/ou le directeur de théâtre doit/doivent choisir ce qu'il va/vont sacrifier.

La partition

Devant l'importance du matériau, donc, les coupures sont inévitables, mais certaines parties sont essentielles à l'œuvre et se doivent de figurer dans n'importe quelle représentation scénique ou concertante. Tout d'abord l'Ouverture qui n'a rien à voir avec ces morceaux passe-partout que Rossini transfère d'une œuvre à l'autre. Celle de Semiramide reprend les thèmes de l'opéra même. Une majestueuse et belle introduction prend les dimensions d'un mouvement lent de symphonie. L'andantino est fait de la mélodie accompagnant le serment de fidélité d'Arsace,  Assur, Idreno et Oroe à la reine. Le petit air staccato – motif des prêtres – fut considéré par les contemporains comme bizarre et effrayant. En tout cas, le morceau est plein d'invention mélodique, brillament orchestré et produit habituellement un effet très excitant. D'ailleurs, bien que tout le reste de l'ouvrage soit resté dans l'oubli jusqu'à la seconde partie du XXème siècle, l'Ouverture ne disparut jamais des programmes de concert.  

Quant à la partie vocale de l'œuvre, si le chœur initial des Prêtres de Baal peut être rangé parmi l'une des pages les plus désinvoltes du grand compositeur, le premier air d'Arsace qui suit « Ah ! Quel giorno » est tout autre chose. Merveilleuse mélodie pour mettre en valeur le contralto colorature qui doit monter jusqu'au Si naturel, le tenir puis descendre deux octaves entières. Son second grand air, à l'acte II, « In si barbara sciagura » déploie une mélodie encore plus délicieuse et une cabaletta encore plus brillante. L'air de Semiramide « Bel raggio lusinghier » reste cependant le plus célèbre de la partition. Un des traits musicaux particuliers est que ses passages ornés font partie intégrante de la mélodie. Il ne s'agit pas d'un air simple décoré par la suite, mais d'une mélodie dont la ligne est originellement ornée. Elle s'étend sur deux octaves. Colbran prenait de l'âge et la partition ne contient aucun des contre-Ut tenus que Rossini avait écrits pour elle dans ses opéras précédents, mais le compositeur étale sa maîtrise du chant orné. La première rencontre d'Arsace et Semiramide a lieu dans les jardins suspendus de Babylone, le superbe duo « Serbami ognor si fido il cor » est construit sur une suite de tierces. Le second duo Arsace/Semiramide « Giorno d'orrore », est, lui, écrit sur une suite de sixtes. Le Duo soprano/ténor « Qual mesto gemito » pour Semiramide et Idreno auxquels vient se joindre le chœur est traité en canon et a servi de modèle au Miserere du Trovatore de Verdi. Ce duo qui termine le premier acte se développe avec la participation d'Arsace, et l'ensemble s'achève sur les paroles du spectre de Ninus, dans la manière du Commandeur de Don Giovanni. L'acte se termine sur un vivace – splendide crescendo rossinien sur rythme de ¾. Le rôle d'Assur fut créé par Filippo Galli, le grand basso cantante (basse chantante) de l'époque, également créateur de Maometto II et de nombreux autres rôles de Rossini. Il a un air orné mais très puissant « Ah la sorte citradi », et deux splendides duos, l'un avec Semiramide et l'autre avec Arsace. On trouve difficilement de nos jours les ténors qui peuvent soutenir la tessiture élevée de Rossini. Les deux airs d'Idreno « Si sperar voglio » et « Ah dov'è il cimento » sont très décorés, s'élèvent au contre-Ut dièse, et requièrent une élégante maîtrise des arpèges et des gammes.

On comprend ainsi facilement pourquoi Semiramide ne sera jamais un opéra de répertoire – même s'il est parfois repris ici ou là – car il requiert de vraies vedettes de bel canto. C'est donc avec beaucoup de fébrilité que nous attendons les représentations lyonnaises, dont nous rendrons compte ultérieurement dans ces colonnes. 

Emmanuel Andrieu

Semiramide de Gioacchino Rossini - A l'affiche de l'Opéra de Lyon les 18 & 20 novembre 2014 (puis au Théâtre des Champs-Elysées le 23 novembre).

Concert diffusé sur France Musique le samedi 6 décembre à 19h

Plus d'informations sont disponibles sur les sites officiels de l'Opéra de Lyon et du Théâtre des Champs-Elysées

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