Rencontre avec Eric Huchet : « J’aime m’inscrire dans une continuité, dans la transmission »

Xl_eric_huchet © Karo Cottier

À partir de ce 15 mai, l'Opéra Comique proposera une nouvelle production de La Périchole d'Offenbach, avec un plateau des plus attrayants, comprenant Stéphanie d'Oustrac, Philippe Talbot, ou encore le ténor Eric Huchet. Nous avons profité de cette actualité pour aller à sa rencontre afin d'échanger sur sa carrière, ses goûts musicaux, son rapport spécial avec cette oeuvre et cette maison parisienne, mais aussi à propos d'UNISSON dont il est le président, des missions de ce collectif et de l'avenir de l'art lyrique...

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Opera Online : Comment en êtes-vous venu au chant lyrique ?

Eric Huchet : Je suis arrivé au chant lyrique par l’ensemble vocal, dans lequel j’ai chanté à 26 ans. A l’époque, mon ex-femme chantait dans deux ensembles vocaux, alors que je faisais tout à fait autre chose : des logiciels de calcul de structures pour des charpentiers ! Je chantais seulement dans ma salle de bain, et je faisais aussi de la radio. J’aimais beaucoup tout ce qui était musique californienne, musique un peu harmonisée… Mon ex-femme a fini par me demander si ça ne me tentait pas de l’accompagner. J’ai également commencé à prendre des cours de chant vers ce moment-là, puis je suis parti : j’avais un professeur de chant à Paris, dans un conservatoire municipal, mais à 30 ans, c’était un peu âgé pour faire des études supérieures en France. Le hasard et la chance ont fait que j’avais des contacts à Vienne, où j’ai passé une audition à la musikhochschule, et j’ai fait mes études avec Walter Berry. J’ai donc fait toutes mes études supérieures en Autriche, jusqu’à mes 33 ou 34 ans, puis j’ai tout de suite commencé à travailler en France. L’arrivée dans le chant lyrique s’est donc faite un petit peu par hasard.

A présent, avez-vous un répertoire de prédilection ?

Je dirais qu’à l’âge que j’ai, mon répertoire de prédilection c’est celui dans lequel on me voit, donc c’est surtout celui de l’opéra comique, de l’opérette, le répertoire plutôt léger. Après, j’ai toujours un grand amour pour le répertoire allemand. C’est une chose que j’aime faire, que j’espère pouvoir faire encore longtemps, et que j’aime aussi transmettre, même si on ne peut pas appeler ça un répertoire de prédilection parce qu’on me le donne rarement. Mais je suis ravi quand on me le donne et je rêve toujours de faire un Loge dans L’Or du Rhin

Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans le répertoire allemand ?

J’ai vraiment accroché à la langue allemande quand je suis allé faire mes études à Vienne. J’y ai étudié le lied et l’oratorio, donc c’est aussi un amour du texte. La musique romantique et la musique classique allemandes sont des choses que j’apprécie particulièrement : rien ne me rend plus heureux que de chanter une Création de Haydn ou des messes de Mozart ou Beethoven, et plus tardivement tout ce qui est lieder : Schubert, Schumann… Mais on en revient toujours à l’amour du texte.

Vous avez parlé de l’opéra comique. Vous allez justement interpréter Don Miguel de Panatellas dans La Périchole à l’Opéra Comique. Pouvez-vous nous parler de cette œuvre que vous connaissez bien, ainsi que de cette production (si vous en connaissez déjà certains éléments) ?


Répétitions de La Périchole ; © Stefan Brion

Répétitions de La Périchole ; © Stefan Brion

Effectivement, je connais bien l’œuvre depuis longtemps, comme beaucoup du répertoire d’Offenbach, mais j’ai un rapport avec cette Périchole un petit peu spécial : il y a eu un spectacle à la fin des années 1990, monté par Jérôme Savary, que j’avais rencontré sur une autre opérette, La Mascotte, qu’il avait également tournée. Suite à cette rencontre, il m’avait proposé de faire Piquillo dans sa version un peu déjantée de La Périchole, qui s’appelait d’ailleurs « La chanteuse et le dictateur, d’après La Périchole ». Nous l’avons d’abord jouée à Chaillot, durant sa dernière année à la tête du théâtre. Puis quand il a été nommé à l’Opéra Comique en 2000, ça a été le premier spectacle qu’il a repris, avant qu’on ne reparte en tournée. C’est donc une œuvre que j’ai beaucoup chantée, puisque j’ai dû l’interpréter environ 200 fois au cours de cette période. Je l’ai retrouvée ensuite dans d’autres productions, avec Jean-Louis Grinda, ou dernièrement lors de la version par le Palazzetto Bru Zane avec Marc Minkowski et les Musiciens du Louvre. Pour moi, c’est une œuvre typique d’Offenbach par ce qu’elle a de touchant, de comique aussi avec toute cette palette de personnages. Et puis c’est une œuvre avec des échos à d’autres ouvrages : cette histoire qui parle d’une femme éternelle à travers les époques, basée sur une histoire vraie, arrangée ensuite après avec Le Carrosse du Saint-Sacrement… Sans oublier cet art d’Offenbach de rapprocher les héroïnes entre elles. La chose la plus frappante, c’est la lettre de La Périchole qui est quasiment mot à mot la lettre qu’écrit Manon à Des Grieux.

Pour ce qui est de la production, la partition est basée sur l’édition de Jean-Christophe Keck. Je n’ai encore jamais travaillé avec Valérie Lesort, mais je pense qu’on va avoir une belle fantaisie et un bel univers. Ce que je peux vous en dire, c’est que les textes sont quasiment complets : on n’aura peut-être pas forcément une version historique, mais ce sera une version qui respecte les textes et la musique d’Offenbach.

Vous avez donc un rapport particulier avec La Périchole à l’Opéra Comique…

Oui, effectivement, par rapport à cette production de Jérôme Savary et à sa reprise à l’Opéra Comique. Ça a été mes premiers pas à l’Opéra Comique, même si je suis revenu plusieurs fois pour d’autres productions. C’est une maison unique et exceptionnelle : je pourrais y arriver les yeux fermés, ne serait-ce que par l’odeur qui se dégage du bois dans les escaliers. Je m’y sens bien, et je pense que je ne suis pas le seul ! Il y a un vrai amour de ce théâtre de la part des gens qui y travaillent. C’est une maison à taille humaine qui a eu la chance d’avoir depuis plus de 20 ans des directeurs qui se sont succédés, qui ont gardé une certaine ligne – tout en amenant leur personnalité – et qui ont réussi à faire que cette maison fonctionne, qu’elle possède une vraie identité, un public capable de venir découvrir des pièces sans se poser forcément de questions parce qu’il sait qu’il ne sera pas déçu.

Parallèlement à votre métier de chanteur, vous êtes également président d’UNISSON, qui a vu le jour face à la crise liée à la pandémie. Pouvez-vous nous parler de la naissance de cette association ?

UNISSON est un collectif qui s’est monté en association 1901, qui est né au lendemain du premier confinement en mars 2020. Très vite, il y a eu une première prise de conscience sur la situation des artistes avec un groupe de personnes qui a écrit une lettre ouverte cosignée (y compris par moi). On a vu pendant deux ans un milieu de la culture qui a heureusement été protégé et aidé, mais avec des perspectives qui étaient – et qui sont encore pour certains domaines – assez sombres. On m’a alors appelé assez vite pour donner un coup de main à ce collectif. Ce qui a été un avantage pour nous tous, ça a été paradoxalement d’être à l’arrêt : les gens qui avaient envie de s’investir avaient le temps de le faire. Cela a aussi permis de voir que beaucoup de mes collègues avaient d’autres formations, comme par exemple juridiques, parfois même assez poussées. Nous avons vu que nous n’étions donc pas juste des chanteurs, mais des gens avec des compétences qui sont très utiles dans ces moments de discussion. 

Il a par ailleurs fallu s’imposer vis-à-vis de différents organismes d’employeurs. Ca a été assez facile par rapport au Gouvernement avec l’arrivée de Mme Bachelot qui est assez ouverte sur l’art vivant. On a ensuite très vite travaillé en commissions diverses et variées, on s’est retrouvé à la table avec des syndicats comme Profedim, ou l’AFAA, qui est l’association des agents artistiques. Je dirais qu’UNISSON n’est pas dans le combat syndical – sans forcément repousser le terme de « syndical » – mais est là pour trouver le meilleur compromis possible compte-tenu du panel de nos adhérents : il n’y a pas que des chanteurs représentés par des agents, ou qui travaillent dans des grands théâtres, mais aussi des gens qui travaillent dans des petites compagnies, ou qui ont eux-mêmes leur petite compagnie… Les problématiques ne sont donc pas exactement les mêmes.

Il y a notamment un gros chantier sur lequel nous avons travaillé avec nos avocats et l’AFAA, qui est celui de contrats-types qui nous permettraient de sortir de nos contrats et des clauses qui sont illégales. Ce n’est pas si simple, il faut réussir à trouver des solutions sans heurter ni les uns ni les autres, et surtout sans essayer d’imposer quoi que ce soit, dans la mesure où un opéra institutionnel qui a les moyens et qui doit respecter une certaine législation a finalement moins de contraintes qu’une petite compagnie. Si on impose les mêmes contraintes à ces petites compagnies, c’est signer leur arrêt de mort, que ce soit en minimum de salaire, en obligation de déclarations… Il y a un cadre juridique sur lequel il faut s’appuyer, mais il faut aussi essayer de trouver des compromis, même si le compromis a aussi ses limites.

A UNISSON, nous voyons remonter beaucoup de contrats, de problèmes, qui sont notamment liés à ce qu’on a appelé les « clauses Covid » : le Covid n’étant pas considéré comme un cas de force majeure, beaucoup d’employeurs ont essayé de se protéger, et maintenant on voit arriver des contrats avec des clauses assez folles. Tout ça sont des pistes de discussion pour pouvoir trouver des ententes entre les artistes, les structures, les agents, et cela également au niveau international. Parce que cette dynamique qui existe en France existe dans l’Europe entière. Il y a d’ailleurs une structure qui s’appelle LyriCoalition, ce qui permet de faire circuler l’information et de ne pas s’arcbouter vers un nationalisme artistique.

Quel est votre rôle, en tant que Président ?

À la création d’UNISSON, on a senti que les chanteurs étaient fragiles : la grande peur que l’on a, dès qu’on parle un peu trop, c’est d’être blacklisté. C’est pourquoi, dans un premier temps, les personnes qui étaient très actives au sein d’UNISSON étaient anonymes. Pour la représentation de l’association, le bureau qui avait été élu n’était pas des chanteurs : le premier président s’appelait Antoine Bing, qui est lié au monde de l’opéra mais qui n’avait rien à craindre. Les choses se sont assez vite adoucies, et j’ai pris la présidence par intérim après qu’on me l’a proposée, au début de l’année 2021, avant d’être finalement devenu président jusqu’à la prochaine assemblée générale en avril. Pour l’instant, on est toujours un collectif. On envisage d’aller un petit peu plus loin et de transformer l’association en chambre professionnelle des chanteurs, ce qui permettrait d’aller à d’autres tables de négociations et de faire entendre la voix des chanteurs un peu plus fortement.

Justement, quel est aujourd’hui l’avenir d’UNISSON ?


UNISSON ; © DR

On espère tous que le Covid est à présent derrière nous, donc le travail d’UNISSON est de pérenniser le travail déjà accompli. On a aussi mis en place une cellule d’écoute et une assistance notamment pour le harcèlement, avec une ligne et un email grâce auxquels les gens peuvent prendre contact. UNISSON offre alors une ou deux heures auprès d’un avocat spécialisé, mais il existe d’autres cellules spécialisées pour ce point-là. A part cela, il y a eu un concert de soutien en octobre 2020 qui a permis d’avoir un fond maintenant géré par une autre structure adossée à UNISSON, le « fond UNISSON », qui est le côté aides financières d’UNISSON. On envisage également de donner un prix dans des concours de jeunes chanteurs, car on a vraiment à cœur de les intégrer. On va aussi avoir des interventions dans les Conservatoires ou les Pôles supérieurs afin de parler de notre métier, car on s’est vite aperçu que le lien entre l’enseignement et la réalité n’est pas toujours très clair.

On travaille aussi sur des questions plus pointues qui sont des problèmes internationaux, comme une problématique liée à l’URSSAF et à un imprimé appelé « imprimé A1 » pour laquelle il faut trouver des solutions pérennes qui aujourd’hui n’existent pas. C’est ici un problème plus large qui touche aussi l’intermittence, avec cette exclusivité française qui fait que les chanteurs sont des salariés, et non des travailleurs indépendants. On se retrouve donc en concurrence à l’international avec des personnes qui n’obéissent pas aux mêmes règles. Ce sont des choses sous-jacentes depuis plusieurs années qu’il faut régler.

Vous parlez de la différence entre artistes français et étrangers, mais comment cela se traduit-il concrètement ?

En France, nous sommes un peu traités comme des intérimaires, avec un contrat de travail, une fiche de paye, des cotisations sociales, etc. Ce qui ouvre le droit à des cotisations chômages, ou vieillesses, des congés spectacles… Quand un artiste européen vient travailler en France, il vient en tant qu’indépendant, même si on lui fait aussi une fiche de paye, mais dans la mesure où il est indépendant et cotise dans son pays, l’employeur français est exempté de ces cotisations. Quand un artiste français va travailler à l’étranger, l’employeur va demander l’imprimé A1 pour prouver qu’il paye bien ses cotisations sociales en France, et se trouvera donc exempté de payer lui-même les cotisations sociales de l’artiste. Sauf que, puisqu’il s’agit d’un salarié en France, ces cotisations sociales vont être réclamées par l’URSSAF, qui va s’adresser pour cela au théâtre dans lequel on est engagé.

Cette situation pose un double problème. Tout d’abord, celui de la concurrence : les artistes indépendants vont être préférés aux artistes salariés, car cela sera plus économique pour le théâtre qui n’aura donc pas de cotisations sociales à payer. Mais cela se voit également dans l’autre sens : un chanteur italien, par exemple, n’a pas intérêt à donner son imprimé A1 en France, puisque s’il le fait, l’Italie lui réclame l’intégralité des cotisations sociales quand il rentre dans son pays, alors que lorsqu’il chante dans son pays, il y a 33% de cotisation, dont 20% sont pris en charge par le théâtre et 13% par lui. Or, s’il présente son imprimé en France, quand il rentre on va lui réclamer les 33%. Il s’agit d’un problème d’uniformisation européenne. Il est vrai que de parler de ces problèmes, c’est un peu remettre en question le statut d’intermittent, et c’est une boîte de Pandore que beaucoup ne souhaitent pas ouvrir. Ce sont des annexes qui n’ont rien de musicales, mais qui font partie de notre quotidien !

De manière plus générale, comment voyez-vous l’avenir de l’art lyrique ?

A chaque âge, à chaque période, on trouve que c’est plus compliqué, et c’est vrai qu’actuellement c’est plus compliqué pour démarrer. Je ne voudrais pas avoir 25 ans et entrer dans ce métier aujourd’hui. Je ne sais pas comment je ferais… mais ce n’est que mon point de vue de vieil homme (rire). J’ai l’impression qu’il y a de l’espoir parce que cette période compliquée a poussé les gens à se renouveler, à trouver d’autres solutions, d’autres manières de faire de la musique ou de l’art lyrique, mais je trouve aussi que certaines leçons n’ont pas été tirées. On a eu de multiples annulations, et l’on se trouve encore face à des structures qui évitent un peu les chanteurs français et leurs agents. Cela peut être un choix artistique, mais je trouve que c’est parfois exagéré. L’avenir va aussi dépendre de la situation internationale, de la pérennité des subventions pour les grosses structures…

Ca a aussi été un des problèmes auxquels nous avons été confrontés : on a eu d’une part des grosses structures qui ont rémunéré leur personnel fixe (administratif ou artistique), soit en chômage partiel soit intégralement, et d’autre part des personnels intermittents qui ont été peu ou pas du tout rémunérés. A partir de ce constat, les structures risquent de partir sur le grand répertoire pour ne pas prendre de risque, mais on peut s’interroger sur ce qu’il va alors advenir du répertoire contemporain ou plus rare. Cela me fait un peu peur, et j’espère que les directeurs et directrices vont continuer à les programmer et s’ouvrir à tout le répertoire. A côté de cela, il va aussi falloir former, puisque beaucoup d’artistes ont arrêté ce métier durant ces deux ans. Je ne suis pas donc forcément très optimiste…

Après, à titre personnel, j’habite à la campagne et nous allons monter une petite association pour faire venir de jeunes chanteurs, aller dans les écoles pour faire découvrir l’art lyrique, etc. En se disant que sur les centaines d’enfants, il suffit qu’il y en ait un qui ait les yeux qui brillent pour relancer la machine. Je pense que c’est le genre d’initiatives qu’il va falloir prendre. Il est vrai que j’aime bien m’inscrire dans une continuité, dans la transmission : j’ai appris auprès de chanteurs et metteurs en scène qui avaient eux-mêmes appris auprès d’autres artistes. Ce sont des choses qui sont indicibles mais qui s’héritent et se transmettent sans forcément qu’on s’en rende compte. Peut-être est-ce présomptueux de ma part, mais j’aimerais beaucoup faire partie de ces personnes qui en amènent d’autres à faire ce métier et à utiliser ce qu’il y a de meilleur en nous. Donc oui, il suffit qu’il y en ait un ou une, et la mission sera remplie. On aura alors apporté du plaisir sur scène, fait découvrir des choses, on se sera découvert soi-même, et on essaie de parcourir le temps comme ça.

Propos receuillis par Elodie Martinez

© Karo Cottier

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