Disparition de l'immense soprano Edita Gruberová

Xl_edita_gruberova © DR

C’est avec une immense tristesse que nous avons appris la disparition, hier, à l’âge de 74 ans, de la soprano slovaque Edita Gruberová, dont l’importante carrière a su toucher un grand nombre de spectateurs, d’auditeurs, ou encore d’artistes. Ils sont d’ailleurs nombreux à lui rendre hommage aujourd’hui via notamment les réseaux sociaux, comme Ludovic Tézier (« Mme Gruberova est passée, aussi discrète à la ville que flamboyante à la scène. Chapeau à la femme, chapeau à l’artiste »), Florian Sempey (« Elle était et restera  un monstre sacré qui soulevait les foules et qui a honoré les plus grands théâtres du monde par sa présence! ») ou encore Catherine Hunold. Celle que l’on surnommait la « Reine des coloratures » avait par ailleurs mis fin à sa carrière il y a un an seulement, après le report puis l’annulation de son récital au Maggio Musicale Fiorentino.

Née le 23 décembre 1946 à Bratislava, alors en Tchécoslovaquie, et fille unique de Gustav Gruber et d'Etelka, Edita Gruberová avait découvert la musique en intégrant un chœur d’enfants dès 1959, avant de suivre l’éducation musicale du pasteur Julius Janko dès ses 15 ans. Edita Gruberová était entrée au conservatoire de Bratislava où elle a suivi l'enseignement de Maria Medvecká. C'est elle qui lui fit notamment aborder le rôle de la Reine de la nuit de La Flûte enchantée de Mozart, un des rôles qui feront sa renommée puisqu’elle le chantera presque cent cinquante fois, sous la direction des plus grands chefs d'orchestre.

C’est en 1968 qu’elle entame sa carrière lyrique, avec le rôle de Rosina (Le Barbier de Séville de Rossini), et qu'elle remporte également le troisième prix d’un concours de chant donné au Théâtre du Capitole de Toulouse. Avant la fin de l’année, elle se produit également en Violetta (La Traviata) au Théâtre de Banská Bystrica, où elle est engagée de manière permanente. Toutefois, il faudra attendre 1970 pour qu’elle foule la scène de l'Opéra d'État de Vienne sous les traits de la Reine de la Nuit. Malgré le succès, elle se cantonne alors encore à des seconds rôles, ce qui lui permettra paradoxalement de laisser sa voix se développer sans la brusquer.

En 1973, elle prépare la partition de de Zerbinetta (Ariane à Naxos) pour une prise de rôle à Vienne et interprète également la Reine de la nuit au Festival de Glyndebourne. Suivra sa première Konstanze (L'Enlèvement au sérail) à Graz, ainsi que l’enregistrement filmé du rôle de Fiakermilli dans Arabella sous la direction de Georg Solti. L’année suivante, elle reprend son rôle de Reine de la nuit, cette fois au Festival de Salzbourg avec Herbert von Karajan, puis elle abordera un peu plus tard le rôle-titre de Lucia di Lammermoor à Graz (l’Opéra de Vienne montera par ailleurs pour elle une nouvelle production de cette œuvre en 1978, où elle triomphera à nouveau).

Le 20 novembre 1976, elle obtient un véritable triomphe en Zerbinetta, sous la direction de Karl Böhm et dans une mise en scène de Filippo Sanjust. Sous la direction de James Conlon, c’est à nouveau en Reine de la nuit qu’elle fait ses débuts au Metropolitan de New-York en 1977. Elle poursuivra sa carrière en collaborant notamment avec le chef Nikolaus Harnoncourt (avec qui elle enregistrera plusieurs opéras), au point qu’en 2003, elle fêtera ses 35 ans de carrière au Bayerische Staatsoper en interprétant Rosina (son premier rôle), puis sa deux-centième Lucia l’année suivante à Berlin. Un peu plus d’un an plus tard, elle fête un autre anniversaire : celui de sa deux-centième Zerbinetta, cette fois à Vienne, dans la reprise de la production de 1976 – elle faisait partie de la distribution de la création.

Après 40 ans de carrière, elle abordait le rôle-titre de Lucrezia Borgia en 2008, dans une version concertante triomphale. La même année, elle chante également le rôle de Norma aux côtés d'Elīna Garanča au Festival de Munich. Edita Gruberová a multiplié les apparitions sans jamais perdre de sa superbe, et l’on ne cesse d’admirer sa technique, sa virtuosité, un suraigu toujours puissant, sans oublier un contrôle du souffle et une capacité de coloration vocale impressionnants. Poursuivant sa carrière avec de nombreuses productions, notamment à travers l’Europe, elle décide finalement que le Roberto Devereux proposé à Munich en 2019 sera son ultime apparition scénique (nous y étions), mais qu’elle poursuivra encore les récitals et les master-classes, d’autant qu’elle avait dénoncé publiquement en 2013 l’allongement des périodes de répétitions et la nouvelle mentalité des metteurs en scène : « Ils ont une idée de moins en moins précise de la production en arrivant, ce qui augmente la fatigue avant la première. (…) Depuis une dizaine d’année, la mise en scène va contre la musique, ce qui génère du stress et de la frustration chez les chanteurs ».

Finalement, la crise de la Covid-19 l’aura privé – ainsi que son public – d’un dernier récital prévu à Florence, ainsi que l’expliquait alors le communiqué officiel : « La pause imposée par la Covid-19 a considérablement retardé les préparatifs de son concert. Pour Mme Gruberova, il était important de maintenir sa voix en forme grâce à des prestations artistiques régulières. La situation engendrée par le virus a rendu impossible le maintien de cette routine de chant, car tous les événements de ces derniers mois ont été annulés (…) Mais malgré son extraordinaire engagement, Edita Gruberova nous a fait part de son désir de mettre fin à sa carrière ».

Edita Gruberová venait de recevoir un ICMA (International Classical Music Awards) pour l’ensemble de sa carrière, qui s’étend sur plus de 50 ans. Elle laisse une importante discographie, de nombreuses captations,  mais aussi et surtout un souvenir impérissable pour celles et ceux qui ont eu la chance de l’entendre sur scène.

Elodie Martinez

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