Cécile De Boever : « Ce sont les rencontres humaines qui me guident plus que jamais ! »

Xl_c_cile_de_boever © DR

Nous gardons un souvenir ébloui de la Brünnhilde de Cécile De Boever dans le « Ring Saga » (version réduite de l’opéra-fleuve de Richard Wagner) qui avait tourné un peu partout en Europe, de Porto à Luxembourg et de Strasbourg à Reggio Emilia, il y a déjà une dizaine d’années maintenant - après l’avoir découverte dans le rôle d’Ännchen (Der Freischütz de Weber) à l’Opéra Berlioz de Montpellier en 2004. Sans avoir quitté les scènes, mais plus active en tant que professeure avec la création d’un Pôle lyrique d’excellence à Lyon (où elle vit), nous sommes allés à sa rencontre pour parler avec elle de son activité d’enseignante, mais aussi de ses projets scéniques, sans oublier de l’interroger sur ses rêves de rôles…

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Opera-Online : De qui ou de quoi tenez-vous ce goût de la scène et du chant ?

Cécile De Boever : cela remonte à mon enfance, puis à mon adolescence. Ma mère raconte que lorsque j’étais petite, on me faisait chanter debout sur la table lors des réunions de famille. Je n’en ai aucun souvenir, mais il est évident que ce premier « public » familial a dû faire naître inconsciemment en moi un plaisir à être « écoutée et entendue », tout simplement. Plus tard, au collège, passionnée par le théâtre, je me souviens jouer Sganarelle dans Les Fourberies de Scapin, et c’est à ce moment précis que petit à petit l’évidence de la scène a pris place en moi. Pour la petite anecdote, je porte le prénom d’une ancêtre de ma famille qui, à la fin du 19e siècle, n’a pu réaliser son rêve de devenir cantatrice… alors hasard ou coïncidence, qui sait ?... (rires)

Quelles ont été vos expériences les plus marquantes, artistiquement et humainement ?

Oh… Il y en a eu beaucoup, mais je pense immédiatement aux quatre rôles fondateurs qui m’ont fait démarrer en France et en Europe : Susanna, Zerlina, Despina chez Mozart, et Ännchen dans Der Freischütz de Weber. Ces quatre personnages, drôles, fins, délicats, empreints de joie de vivre, m’ont forgée et construite. Puis ma voix évoluant vers un Soprano plus lyrique, ce sont quatre autres rôles qui m’ont permis une transition douce et régulière : il y a eu La Voix humaine, Fidelio, mon tout premier Wagner avec L’Or du Rhin, et enfin le rôle de Rosalinde dans La Chauve-Souris au Théâtre du Capitole. Ils m’ont ouvert de nouvelles portes et terriblement enrichie : j’ai pu explorer de nouvelles sensations corporelles, me baigner dans d’autres styles, traverser émotionnellement des psychologies plus complexes et tourmentées, à la fois fortes et mélancoliques, fragiles et résilientes, m’emmenant sur de nouveaux terrains de jeux… Traverser ces nouvelles écritures encore plus exigeantes, plus riches, parfois très vaillantes, m’ont absolument passionnée.

Humainement, des personnalités essentielles - connues ou pas - ont marqué mon parcours personnel jusqu’à maintenant : qu’il s’agisse de mes professeurs, de directeurs de théâtre, de metteurs en scène, de chefs d’orchestre, de chefs de chant, ils ont tous enrichi ma vie en m’enseignant ce subtil savoir-faire technique, et les subtilités de chaque style, en me conseillant sur les prises de rôles à effectuer, en me soutenant, et en me poussant dans mes derniers retranchements… Pour n’en citer que quelques-uns : Raymond Duffaud, Nicolas Joël, Christoph Seuferle, Olivier Py, Jean-Yves Ossonce, Günther Neuhold, Gilbert Amy, Jean Marc Cochereau, Claude-Henri Joubert, Emmanuelle Haïm, Olivier Reboul, Éric Massé, Helena Lazarska, Fabrice Boulanger, Jean-Noël Poggiali

Vous avez créé un « Pôle lyrique d’excellence » à Lyon. Dans quel but ?

Il y a neuf ans, j’ai ressenti un besoin profond de vouloir me sentir utile, de partager mon expérience « d’artisan du chant » auprès de la jeune génération, et faire passer modestement un savoir-faire - sur lequel je travaille toujours et encore, le corps et la voix évoluant et devant se régler constamment… - me sont apparus comme une évidence. J’ai réfléchi à une nouvelle façon de travailler au sein d’une structure de formation. C’est un pôle de haut niveau préprofessionnel alliant un rythme de travail particulier, avec un profil soliste artistique fort, une pratique stylistique poussée du répertoire vocal classique allant du répertoire baroque au contemporain…
Cela n’existait pas sous cette forme : perfectionnement et insertion sont les maître-mots de notre structure. J’ai tenté de répondre à une demande des chanteurs avec lesquels je chantais et travaillais, en inventant un nouvel endroit, un laboratoire artisanal, un lieu, une académie « à la carte ». Ce lieu est un endroit bienveillant, riche d’échanges et de partages, où nous avons vu se révéler de nombreux jeunes artistes maintenant professionnels…

Comment conciliez-vous votre identité d’interprète et d’enseignante ?

Ce n’est pas toujours facile, mais j’organise mon agenda en fonction des sessions du Pôle lyrique d’excellence, environ six semaines par an, des concerts et projets solistes que l’on me propose. Après je remplis autour... Chez moi, l’artiste lyrique active constamment la réflexion pédagogique de l’enseignante : chanter, travailler cet instrument fascinant qu’est la voix nous oblige à une grande rigueur, à beaucoup de régularité,et à une conscience de chaque instant étant donné la dimension vivante de ce « corps chantant ». Personnellement, la scène me manque très vite. Elle reste toujours pour moi mon « jardin extraordinaire » où tout est possible, où en tout cas tout doit tenter de l’être. Ce lieu magique où ce travail des répétitions m’enchante toujours et encore, ce moment où on essaie, on cherche, on façonne, on tâtonne, on résiste, on lâche… pour au bout du compte tenter de donner avec sincérité, vérité, justesse et liberté - tout en respectant la vision et la lecture du metteur en scène bien sûr. Un travail subtil et délicat, toujours animé par la joie immense de faire vibrer et réagir le public.

Chaque nouvelle décennie nous oblige à ajuster nos rapports au corps, au timbre, aux harmoniques, au souffle, car les voix de femmes sont particulièrement soumises aux hormones, et je trouve très dommage que cela ne soit pas abordé lors de nos études. J’essaie au sein du Pôle lyrique d’excellence de traiter de nombreux sujets dont celui-ci. Heureusement, certaines chanteuses de ma génération, ces dernières années, commencent à communiquer sur ce sujet à travers les réseaux sociaux, les médias : il était temps !

Quels sont vos projets concrets ou dont vous rêvez pour les années à venir ?

À court terme, je vais à l’automne prochain interpréter le personnage féminin de La Voix humaine de Francis Poulenc dans une nouvelle mise en scène de Renaud Boutin, cette fois-ci avec un danseur de la Compagnie de Chaillot, et Fabrice Boulanger sera au piano. Je me réjouis de ce projet reporté à cause de la pandémie. Cette partition m’accompagne depuis 2007 : j’ai eu l’immense joie de travailler avec Éric Massé pour cette prise de rôle. Depuis, elle évolue et grandit avec moi. J’y découvre toujours des subtilités incroyables, tous ces détails à chaque traversée, qui alimentent constamment le sous-texte.

Puis je reprendrais, à Paris au printemps 2023, un récital autour des « Héroïnes allemandes » avec toujours Fabrice Boulanger au piano. Ce récital a été créé à l’automne dernier à l’institut Goethe. En mai, j’aurai l’immense bonheur de donner - avec les solistes de l’Orchestre National de Lyon à l’Auditorium Maurice Ravel - un concert Wagner et Mahler, plus une création d’Andreane Détienne. Enfin, en fin de saison, j’interpréterai ma première Frau Fluth dans Les Joyeuses Commères de Windsor aux côtés des jeunes chanteurs du Pôle lyrique d’excellence, spectacle mis en scène par Jean-Noël Poggiali.

Quant à mes projets rêvés, je laisse la vie me faire des surprises musicales, mais une chose est sûre : ce sont les rencontres humaines, la force des projets artistiques, les propositions et l’envie qui me guident plus que jamais ! Bien des rôles verdiens m’attirent, et j’adore les personnages d’Elettra dans Idomenée et Vitellia dans La Clémence de Titus, ou encore Chrysothemis dans ElektraRichard Strauss est un compositeur essentiel pour moi, qui m’accompagne depuis mes études. Et puis je rêve que mon spectacle « Neuf vies d’une femme libre » puisse tourner : nous l’avons donné dix fois en tout, et l’accueil du public est tel que je voudrais pouvoir encore le partager avec mes camarades : Florian Caroubi, Fabrice Boulanger, Jean Noël Poggiali… et le public ! Cette histoire intime, puissante, profonde, de femmes qui traversent le 20e siècle – et une en particulier, ma grand-mère - est pour moi avant tout un récital théâtral en même temps qu'un devoir de mémoire.

Pour l’avenir, tant que ma voix répond bien présente, que je peux réaliser ce que les compositeurs attendent de moi, et me sentir libre de raconter des histoires, je continue ! J’arrêterai et réfléchirai à un autre mode d’expression quand ce sera le moment : le théâtre est mon autre passion depuis toujours, mais aussi la peinture, la sculpture, l’écriture… Je croque la vie à pleines dents, et je savoure la chance que j’ai de traverser tous ces moments artistiques depuis tant d’années…

Propos recueillis le 30 juin 2022 par Emmanuel Andrieu
 

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