5 questions à Philippe Sly

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Alors qu’il reprend le rôle de Guglielmo (Cosi fan tutte) dans la production (très controversée) d’Anne Teresa de Keersmaeker au Palais Garnier, le baryton canadien Philippe Sly nous a accordé une interview dans laquelle il nous parle de son travail avec la chorégraphe belge, mais aussi de sa prise de rôle de Don Giovanni cet été à Aix (nous y étions), et plus largement de son expérience et de ses projets.

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Opera-Online : Vous reprenez actuellement, au Palais Garnier, le rôle de Guglielmo dans le Cosi fan tutte imaginé par la chorégraphe belge Anne Teresa de Keersmaeker. On sait que le spectacle a suscité une importante polémique à sa création en mars dernier. Comment s’est passé le travail et comment avez-vous vécu ces difficultés ?

Philippe Sly : Il y a eu plusieurs niveaux de difficultés du fait du projet lui-même, puisqu’il s’agit d’un Cosi entièrement dansé. Tous les chanteurs ont été choisis personnellement par Keersmaeker et Jordan, et donc supposément pour des qualités physiques autant que vocales. La première difficulté a été que nous n’étions cependant pas tous aussi à l’aise avec le fait de devoir danser - autant que chanter - nos rôles. A titre plus personnel, je me sentais très à l’aise, mais je me suis tellement pris au jeu, en me contorsionnant en tous sens, que je me suis abîmé la voix en créant des tensions au niveau de ma gorge. En ce qui concerne le mauvais accueil de la production par une partie du public, tous les chanteurs ont fait corps avec Keersmaeker car on croyait en la viabilité du projet, et je suis très heureux de le reprendre.

Le travail avec Jean-François Sivadier sur sa nouvelle production de Don Giovanni au dernier festival d’Aix-en-Provence était-il plus apaisé ? Quelle vision a-t-il eu de votre personnage ? Correspondait-elle à la vôtre ?

Avec Jean-François, nous n’avons pas travaillé sur la psychologie du personnage, mais sur le contexte théâtral du moment : on ne peut le découvrir qu’en le jouant. Il faut être dans le monde pour gérer ce que l’on croit. Et puis Don Giovanni ne pense ni au passé ni au futur, il vit seulement dans l’instant, et c’est ainsi qu’on doit l’aborder, avec son côté chaotique et jouisseur. Don Giovanni sculpte le moment selon son caprice, il ne fait pas de marché avec le présent pour espérer un futur, et c’est ce qui en fait un personnage solaire et hors-norme. Sivadier m’a dit dès le début, « Don Giovanni, c’est toi ! », c’est-à-dire qu’il voulait que j’aille chercher au fond de moi de quoi nourrir et donner vie au personnage. Il ne faut surtout pas « surpenser » ce que l’on joue car il y a un risque de ne plus être dans le vrai et de se déconnecter du personnage. Don Giovanni est tellement obscur, et c’est en fait à travers le personnage de Leporello que le public a la possibilité de l’appréhender. Une fois que Don Giovanni disparaît, il y a un manque, et c’est au public d’interpréter cette absence.

Comment construisez-vous une interaction avec vos partenaires sur scènes ? Le jeu scénique est-il pour vous aussi important que le chant ?

Si mon idée dramatique est assez claire, ma voix et mon corps sauront comment bien la chanter. Si je ne pense qu’à mon chant, mon corps n’aura pas assez d’informations pour bien gérer le son. Il faut une forte imagination pour bien chanter, et c’est fondamental à mes yeux d’être à fond dans le jeu pour bien chanter, sinon on est divisé et ça ne peut pas marcher. Quant à mes partenaires, j’essaie toujours de les entraîner dans mon énergie, tout en restant à leur écoute, et à faire tout mon possible pour les mettre en valeur même s’ils sont en méforme ou en difficulté.

Vous reviendrez au Palais Garnier cette saison pour Jephtha de Haendel, comment est-ce qu’on aborde une œuvre beaucoup moins connue ? Que ressentez-vous également à l’idée de travailler sous la férule de Claus Guth pour la mise en scène et William Christie pour la direction musicale ?

J’adore la musique ancienne et j’ai d’ailleurs gravé un disque de Cantates de Rameau. A mon Université, j’ai chanté dans Thésée de Lully et j’ai adoré cette musique. J’aime les projets qui intègrent le jeu et la musique dans un tout, et je pense que ça va être le cas ici. L’idée de faire un Oratorio en version scénique est en soi déjà suffisamment excitante, et j’aurais dit oui au projet même avec des gens beaucoup moins connus.

Quels sont vos projets ?

J’ai un projet qui me tient à cœur, à la ferme de Villefavart, dans le Limousin en mars 2018, où je vais donner (et enregistrer) Le Voyage d’hiver de Schubert avec un ensemble Klezmer et dans une mise en espace dans laquelle ils seront intégrés. J’ai appris à jouer de la vielle à roue et je vais également m’accompagner avec cet instrument dans le spectacle. Sinon en Novembre, je pars au Japon pour chanter dans un Saint François d’Assise de Messiaen, ouvrage qui n’a encore jamais été représenté là-bas. J’adore cet opéra, Messiaen l’a écrit comme si c’était une mission pour lui, et participants comme spectateurs ne sortent pas indemnes d’un tel ouvrage.

 Propos recueillis par Emmanuel Andrieu

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