Simon Boccanegra à l'Opéra Grand Avignon

Xl_simon © Cédric Delestrade

Il fallait un certain courage pour monter un titre comme Simon Boccanegra à l'Opéra Grand Avignon (et l'on sait que Raymond Duffaut n'en manque pas), hors le public n'aura malheureusement que partiellement répondu à l'appel en cette soirée de première. Il y a par ailleurs depuis longtemps une synergie entre les Opéras de Tours et d'Avignon et, avant que la production de Traviata de Nadine Dufffaut n'investisse le plateau tourangeau en juin prochain, c'est une production signée Gilles Bouillon provenant de l'Opéra de Tours qui a été importée à Avignon ces jours derniers. L'ancien directeur du CDN de Tours réussit parfaitement à imposer ici sa marque personnelle : pas de reconstitution passéiste ni de relecture risquée, mais un travail rigoureux, à la fois sobre, épuré et efficace. En s'attachant principalement à sa dimension politique, il n'oublie pas pour autant ce qui, dans cet opéra (présenté dans sa version de 1881), touche aux sentiments humains. Grâce à ce processus général de simplification – auquel répond la scénographie de Nathalie Holt essentiellement constituée de panneaux sombres amovibles -, Gilles Bouillon rend l'ouvrage de Verdi intelligible à tous.

Bouleversant Rigoletto la saison dernière à l'Opéra National du Rhin, le baryton roumain George Petean offre un Doge profondément humain, émouvant dans ses relations avec sa fille, voire avec Fiesco, et qui fait preuve de prestance, d'élégance, ainsi que d'une vraie noblesse. Superbe d'autorité, son monologue pendant la scène du Conseil, et plus particulièrement sa manière de chanter la phrase « E vo gridando : amor ! », a été le clou de la soirée.

Le ténor albanais Giuseppe Gipali offre à Gabriele Adorno ses nombreux atouts : timbre ensoleillé, aigus glorieux, souci des nuances, élégance de la ligne, autant de qualités qui compensent largement un déficit de volume qui se fait sentir dans les ensembles. Barbara Haveman – que l'on retrouve tout juste un mois après sa prestation monégasque – s'avère elle aussi au mieux de ses possibilités, même si l'on peut émettre quelques réserves sur l'air d'entrée d'Amelia Grimaldi, où l'on souhaiterait davantage de candeur et de fragilité. La soprano hollandaise emporte par la suite une totale adhésion – malgré un ou deux aigus métalliques -, notamment par les couleurs si particulières de sa mezza voce.

La basse polonaise Wojtek Smilek ne possède pas toute la profondeur et la rondeur pour un emploi de l'envergure comme Fiesco. Sa musicalité s'en ressent, des inégalités de registre venant déparer la ligne de chant, et l'intonation s'avèrant plus qu'hésitante dans « Il lacerato spirito ». De son côté, l'excellent baryton belge Lionel Lhote – que nous languissons de retrouver à Liège le mois prochain dans sa prise de rôle de Zurga (Les Pêcheurs de perles) – donne une relief saisissant au personnage de Paolo, avec sa voix mordante et son jeu intense, tandis que son compatriote Patrick Bolleire se montre également irréprochable en Pietro.

On ne tarira enfin pas d'éloges sur la direction musicale d'Alain Guingual, pilier musical des lieux depuis de nombreuses années, qui nous régale autant avec son sens des nuances que celui du théâtre - l'introduction de l'air d'Amelia montre par exemple un grand sens des couleurs, et les périlleux ensembles sont parfaitement maîtrisés -, contribuant ainsi à faire de cette soirée une belle réussite.

Emmanuel Andrieu

Simon Boccanegra à l'Opéra Grand Avignon, les 20 & 22 mars 2015

Crédit photographique © Cédric Delestrade

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