Falstaff à l'Opéra de Marseille

Xl_faltaff © Christian Dresse

Que faut-il pour réussir une représentation de Falstaff ? La réponse ne fait pas de doute: un chef, des chanteurs et une mise en scène. Certes, cela vaut pour tout opéra mais, ici plus qu'ailleurs, la parfaite symbiose entre les trois est indispensable. C'est une question d'esprit, de rythme, d'équilibre et, tout simplement, de respect envers Giuseppe Verdi et son librettiste Arrigo Boito. Pour son spectacle de clôture de saison, l'Opéra de Marseille a tenu ce pari.

Importée de l'Opéra de Monte-Carlo, où elle a été étrennée en 2010, la production signée par Jean-Louis Grinda est un miracle de tendresse, d'humour et d'intelligence. L'homme de théâtre monégasque a eu l'idée de faire du chef d'œuvre de Verdi une fable animalière, certainement inspirée par le célèbre Chanteclerc d'Edmond Rostand. Falstaff se retrouve en vieux coq de basse-cour, tandis que les commères sont transformées en poules ou pintades, le Dr Cajus en âne et les deux acolytes Bardolfo et Pistola en souriceaux ! Tout ce petit monde – « accoutré » des somptueux costumes chamarrés de Jorge Jara - évolue entre les très beaux décors de Rudy Sabounghi, essentiellement constitués d'immenses livres mobiles qui s'ouvrent ou se referment au gré de l'action. La direction d'acteurs provoque moult fou-rires, grâce aux poses étudiées des différents animaux, qui renvoient directement à celles que prennent habituellement les « originaux ». La dernière scène - située dans le parc du château de Windsor - est stupéfiante de beauté visuelle, avec cet énorme chêne stylisé planté au milieu du plateau plongé dans une pénombre bleutée (lumières signées Laurent Castaingt), autour duquel se joue la dernière mauvaise farce infligée au pauvre Falstaff, d’abord harcelé puis bastonné. C'est beau, c'est drôle, c'est émouvant, on en redemande !

Comme les interprètes se révèlent tous des comédiens hors pair, hautement crédibles, comme ils sont aussi d'excellents chanteurs, ayant les qualités exigées par leurs rôles respectifs, la soirée en compagnie des « commères de Windsor » est totalement « joyeuse », selon les vœux explicites de Shakespeare. En la personne de Nicola Alaimo, la production dispose sans nul doute de l'interprète aujourd'hui le mieux à même d'incarner Falstaff. Le baryton italien – qui nous avait enthousiasmé dans le rôle-titre de Guillaume Tell à l'Opéra de Monte-Carlo en janvier dernier – y apporte sa stature imposante, sa parfaite authenticité dans l'accent et son intelligence dans le jeu. Dans sa longue complainte du III, « Io, dunque, avro vissuto », il vous ferait presque verser des larmes sur son sort, alors qu‘il évoque, avec amertume, le poids des ans, la fuite du temps et la méchanceté du monde. Une saisissante interprétation !

Après avoir longtemps incarné Nanetta, Patrizia Ciofi lui répond avec élégance, Alice aussi futée que racée, même si l'on peut préférer une voix plus ample et sensuelle dans cette partie. Annunziata Vestri est une Meg Page irréprochable, au superbe legato et au grave chaleureux, tandis que Sabine Devieilhe campe une délicieuse Nanetta, au charme fou et dotée d'un instrument magnifiquement velouté. De son côté, la mezzo allemande Nadine Weissman prête à Mrs Quickly une voix au volume sonore impressionnant et aux graves somptueux, jamais poitrinés, même lorsqu’elle lance ses fameux « Reverenza ! ».

Le Ford du baryton québecois Jean-François Lapointe – magnifique Hamlet le mois passé à l'Opéra Grand Avignon – a lui aussi beaucoup de tenue et son monologue « E sogno ? O realta ? », empli de fureur tout autant que de superbes nuances, constitue l'un des grands moments de la soirée. Le ténor sicilien Enea Scala possède un timbre et un physique idéaux pour Fenton, et  il s’acquitte de son air du dernier acte « Dal labbro il canto estasiato vola » avec autant d’émotion que de délicatesse. Mentionnons enfin le Cajus rageur de Carl Ghazarossian, et le duo de serviteurs opportunistes, campés par Rodophe Briand et Patrick Bolleire, tous deux très en voix.

Mais Falstaff reste avant tout un opéra de chef. A ce titre, Lawrence Foster remplie parfaitement sa mission, et donne une lecture pleine de vie, de couleurs et de légèreté de l'ultime partition de Verdi, dont les subtilités du tissu orchestral sont en quelque sorte le personnage principal du drame. Tout en prenant soin de soutenir les chanteurs et en veillant au difficile équilibre fosse/plateau, Foster parvient à galvaniser un Orchestre Philharmonique de Marseille dans une forme olympique ce soir, jusqu’à nous offrir - dans l’extraordinaire fugue qui clôt l’opéra - un véritable feu d’artifice musical.

Le public marseillais ne s'y trompe pas qui fait un triomphe et offre de nombreux rappels à l'ensemble des acteurs de cette magnifique soirée lyrique.

Emmanuel Andrieu

Falstaff de Giuseppe Verdi à l'Opéra de Marseille, jusqu'au 14 juin 2015

Crédit photographique © Christian Dresse

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