Les Huguenots électrisent l’Opéra de Marseille

Xl_p1550023_photo_christian_dresse_2023 © Christian Dresse

Assister aux Huguenots fait partie de ces plaisirs inestimables de lyricophile, tant pour la magnificence de ce chef-d’œuvre schizophrénique que pour sa rareté sur les scènes hexagonales. Après Guillaume Tell en 2021, le metteur en scène Louis Désiré planche à nouveau sur du grand opéra à Marseille, ici avec l’opus star de Meyerbeer. Visiblement intimidé par l’ampleur de l’intrigue et des destins, il se place en retrait de l’action pour en livrer une lecture fidèle, quoique pas toujours claire sur le plan dramaturgique. Si on peut supposer que les décors discount (mais fonctionnels) sont dus à un manque de budget de la maison phocéenne, l’ambition ne semble pas avoir été le moteur de Louis Désiré, qui a préféré laisser la parole à la musique plutôt que de s’exprimer lui-même. Par leur neutralité discrète, les trois premiers actes passent sans déranger. Les deux derniers exhibent quant à eux les limites d’un projet – on atteint sans doute le comble du ridicule avec les bruits d’armes enregistrés – et une direction d’acteurs dépassée par son sujet. On ne s’attend de toute façon pas à de l’avant-garde scénique à l’Opéra de Marseille (encore qu’un travail vraiment de qualité eût été appréciable), mais plutôt à une prestation musicale de haute volée, ce qui a effectivement eu lieu, en fosse comme au plateau.

La baguette de José Miguel Pérez-Sierra donne un point de vue limpide et ludique à cette partition-joyau foisonnante. Il rationalise les envolées délirantes ou transforme en volutes de fumée les lignes conspiratrices. Il divise l’œuvre en moments bien distincts, mais dans une miraculeuse continuité harmonique. Les cadences ne sont jamais des gestes définitifs, la surprise reste de mise. Les changements de tempo n’ont rien de machinal ou de laborieux ; ils se déploient instantanément dans une tranquillité efficace. Plutôt que de « juste » faire du son, il remplit le pari d’écrémer pour mieux faire entendre les subtilités d’un Orchestre de l’Opéra de Marseille de grande qualité. Les splendides cuivres, les bois cinq étoiles, les cordes étoilées et les percussions aiguisées contribuent à l’éclat de cette interprétation haletante qui tient autant du jeu d’arcade que du sport collectif.


(c) Christian Dresse

Le Chœur de l’Opéra de Marseille répond dans la plénitude à ses nombreuses sollicitations. Emmanuel Trenque l’a préparé dans la vaillance, dans la matière, dans l’endurance, pour l’ériger en pilier de la réussite musicale du spectacle. Le couple de solistes, formé de Karine Deshayes et d’Enea Scala, est le même qu’à la Monnaie l’année dernière. Elle, superlative, est la garantie d’une ligne qui avance avec sens, qui s’épaissit et se resserre à l’envi à partir de la psychologie de Valentine. La note, évolutive, n’exprime jamais sa teneur définitive, car elle est énoncée, intégrée au contexte mélodique, mélangée au paysage harmonique, associée au texte. Ce rêve auditif de souffle phénoménal sait où il va, la voix montre ce dont elle est capable tout en restant d’une bouleversante humilité. Le ténor brille par son soutien, son élasticité et la confiance qu’il porte au phrasé. Une telle faculté à interpréter « en dehors de son corps » a un revers : les sons de Raoul semblent souvent tirés, voire arrachés ou matifiés, y compris lorsque la partition ne s’y prête pas, tandis que la justesse tend à s’égarer vers le bas après les a cappella. Déjà présent dans la production des Huguenots niçois en 2016, Marc Barrard campe un Comte de Nevers drapé d’élégance et charpenté de musicalité. Dans une gourmandise contagieuse, Éléonore Pancrazi fait le show pyrotechnique d’Urbain à égalité avec une théâtralité incarnée. La vérité de l’attitude s’allie à l’impressionnant relief qu’elle insuffle à la lettre. Si on connaissait déjà le talent de Nicolas Courjal chez Meyerbeer avec son Robert le Diable à Bruxelles et à Bordeaux, il atteint ici des sommets, dus non seulement à l’homogénéité de son ample tessiture, mais aussi à la crainte sourde qu’il distille chez Marcel. François Lis emplit le Comte de Saint-Bris de mystère et de haine nourrie, aidé d’une granulosité qui lui permet d’ajouter de la profondeur à ses interventions. Sous les traits de Florina Ilie, Marguerite de Valois s’avère d’un naturel confondant, jouant à saute-moutons avec les rythmes, dégainant les questions et les réponses dans le flux continu et sucré du sirop d’érable. Les seconds rôles (Kaëlig Boché, Thomas Dear, Frédéric Cornille, Carlos Natale, Gilen Goicoechea) sont à la mesure du succès général. Quand Meyerbeer est vraiment là, comme ce soir, tout va.

Thibault Vicq
(Marseille, 6 juin 2023)

Les Huguenots, de Giacomo Meyerbeer, à l’Opéra de Marseille jusqu’au 11 juin 2023

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