Faust avec élan à l’Opéra national de Grèce

Xl_dscf3236 © Ioannis Kampanis

On ne pense pas suffisamment à regarder du côté de l’Opéra national de Grèce. Pourtant, avec ses distributions attractives, ses projets affriolants (dont le mois prochain une forme renouvelée du ciné-concert dans une collaboration avec le très imaginatif cinéaste Yorgos Lanthimos), ses captations disponibles sur la plateforme GNO TV depuis novembre 2020, et sa salle à l’acoustique léchée en proche périphérie d’Athènes (le Stavros Niarchos Hall), l’unique institution lyrique dans le pays de Maria Callas possède de beaux arguments.

Faust de Gounod change d’écrin après la création de cette production de Renato Zanella au Megaron d’Athènes en 2012. Le metteur en scène transpose l’espace dans la tête du rôle éponyme : une salle de classe vide, dans laquelle le vieux Faust continue à faire cours, dans laquelle le jeune Faust imagine ses péripéties avec son ancienne étudiante Marguerite. Si quelques trouvailles sont éparpillées ci et là – dans la scène de l’église, l’autel est en fait le bureau du professeur envahi de papiers ; dans la nuit de Walpurgis, un amas de tables et de chaises incarne le désordre –, si les chœurs (bien moins en retard dans leurs gestes précis que dans la plupart de leurs interventions vocales) sont bien mouvants, cela ne suffit pas à combler une direction d’acteurs presque inexistante. Marguerite n’échappe pas aux poncifs de l’écervelée bigote, et on ne sait pas trop vers quoi Renato Zanella veut orienter le spectateur, surtout quand on ajoute à ces paramètres défaillants des chorégraphies (qu’il signe) non toujours lisibles et des costumes dépareillés (si ce n’est hideux pour quelques pauvres danseurs).

Un Méphistophélès charismatique excuse souvent les potentielles faiblesses d’une production. C’est ce qu’on peut encore vérifier ce soir avec le fabuleux Petros Magoulas (qui incarnait le Commandeur dans Don Giovanni sur GNO TV en 2021), qui par son timbre poivré et sa fine diction, propose un attirail de magies plurielles sur un fantastique paquebot de voix, montrant ses attraits à travers la collaboration plutôt qu’en s’imposant au-dessus des autres. Son personnage séduit par sa proximité humaine, au même titre qu’Ivan Magrì, qui fait parler la chair de Faust en un élan revendicatif. « Salut, demeure chaste et pure » vaut au ténor de chauds applaudissements amplement mérités, car il y peint son amour comme une toile de maître, toujours prêt à raconter par l’orientation prosodique en temps réel ce qui le lie à Marguerite. La boussole des sentiments en fait un personnage sans crainte, à fleur de vérité, muni d’un timbre accédant à la transparence psychologique. On ne comprend certes pas son français, mais ses intentions sont claires comme de l’eau de roche. Irina Lungu entre en jeu avec un air du roi de Thulé aux piano superbement ouatés, avant que ne se déploie la confiante liberté inconditionnelle de sa Marguerite pendant toute la représentation (malgré les défauts de la mise en scène). Surinterprétation et « surnuances » sont étrangères à sa composition, qui s’accroche à restituer fidèlement le temps t de la découverte du monde et des sens avec une sensationnelle densité. Chaque fois qu’une phrase commence, on reste suspendu à la moindre inflexion et on se délecte des tenues généreuses. Le baryton Dionysios Sourbis campe un Valentin complexe, mais ses envies de musique sont parfois entachées par un manque de laisser-aller. Miranda Makrynioti est un Siebel au souffle sucré et douillet, tandis qu’Anna Agathonos incarne une Marthe très crédible, pétulante, au jeu lumineux.

À la suite de son Werther à l'Opéra National de Bordeaux et de sa Victoire de la Musique Classique, le chef Pierre Dumoussaud poursuit 2022 et son exploration sagace du répertoire français. Grâce à lui, Gounod mord, et cela fait un bien fou. Il pousse les murs de la partition et garde visibles les engrenages de la machinerie orchestrale du grand opéra. Il fait de la musique une interaction de grands élans instrumentaux, apporte du piquant aux valses, dépose de la rosée sur des tiges d’accords végétaux. Quand les cordes frottent avec les surfaces des bois, les cuivres sont là pour arrondir les textures et les percussions personnifient les détonations théâtrales. Pierre Dumoussaud extirpe sans mal de l’Orchestre de l’Opéra national de Grèce (en assez belle forme) la fumée, la noirceur et la verve de Faust, et aide les chanteurs dans leur recherche de nouvelles « nuances d’ensemble », en remplissant et façonnant le mouvement. On pourrait chipoter sur les fortissimo trop fortissimo ; il n’empêche que la portée sonne terriblement bien lorsqu’elle est si excitante.

Thibault Vicq
(Kallithea, 9 avril 2022)

Faust, de Charles Gounod, avec le Greek National Opera au Stavros Niarchos Hall (banlieue d'Athènes) jusqu’au 17 avril 2022

N.B. : en alternance, Yannis Christopoulos en Faust, Yanni Yannissis et Tassos Apostolou en Méphistophélès, Vassiliki Karayanni en Marguerite, Nikos Kotenidis en Valentin, Diamanti Kritsotki en Siebel, Chrysanthi Spitadi en Marthe

Crédit photo © Ioannis Kampanis

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