Streaming : les troubles nuitées de Don Giovanni à l’Opéra national de Grèce

Xl_gno_don_giovanni_photo_andreas_simopoulos__82_ © Andreas Simopoulos

Après avoir lancé sa plateforme GNO TV de diffusion numérique avec la Butterfly magnétique d’Ermonela Jaho en novembre dernier, l’Opéra national de Grèce dévoile un deuxième titre non moins emblématique du répertoire. Ce Don Giovanni événement – première coproduction internationale de la maison, avec l’Opéra de Göteborg et l’Opéra royal du Danemark – a été enregistré en décembre au Stavros Niarchos Hall et témoigne d’une homogénéité plus nette de sa distribution grecque que le titre de Puccini désormais au catalogue.

Du dramma giocoso dans sa version initiale de Prague, le chef australien Daniel Smith garde prudemment l’entre-deux entre gravité et coquetterie. L’uniformité pourrait passer pour un contenu musical édulcoré de la part de l’Orchestre du Greek National Opera, mais quelques trilles ou traits ressortent savamment de la pâte sonore. Cette neutralité instaure finalement un trouble entre ce qui est vu et entendu, et on en vient à se questionner sur la nature même de l’opéra et des motivations de Don Giovanni. Le second acte donne la parole à des instrumentistes plus incisifs et virevoltants, jusqu’à un finale ou le drame est déclaré vainqueur dans le poids des textures et des accords d’altitude.


Don Giovanni, Greek National Opera ; © Andreas Simopoulos

On comprend un peu mieux ces curieuses intentions musicales en se penchant sur la mise en scène de John Fulljames, qui fait se croiser les personnages dans un hôtel, à l’abri du monde. Dans ce carrefour de milieux sociaux, de voyageurs et de businessmen, chaque nuitée est un recommencement, avec une chambre portant l’amnésie clinique des occupants précédents. Si tout le monde a beau en vouloir au séducteur, ses actes seront de toute façon effacés le jour suivant. Il y a peu à redire sur le malin postulat, propice à quelques belles idées (Donna Anna ressassant son viol avec des visions multiples de son père sortant des chambres), d’autant que la fluidité d’ouverture et de fermeture des ascenseurs rend l’enchaînement des scènes presque idéal. Cependant, le concept global semble inachevé, faute de détails et d’une action laissant peu opérer la hauteur de scène. Le directeur artistique de l’Opéra royal du Danemark développe un II un peu plus convaincant dans l’arrière-cour de l’hôtel, sous des hautes structures de tuyaux superbement éclairées par Fabiana Pizzoli. Le cadavre du Commandeur se retrouve dans la chambre froide avec les carcasses de viande, et le dîner final n’est rien d'autre qu’un plan à cinq (Don Giovanni, Leporello, un homme et deux femmes) assénant une dernière provocation à Donna Anna et à son père revenant d’entre les morts.


Don Giovanni, Greek National Opera ; © Andreas Simopoulos

Tassis Christoyannis porte le rôle-titre avec une nonchalance enthousiasmante. Il ronronne de confort dans des récitatifs en lévitation et des arias bien en chair. C’est un Don Giovanni de pouvoir conscient, plus que de séduction directe, dont la discrétion insidieuse enracine l’emprise. Il se love dans la musique, sans chercher à en émerger, car il ne cherche pas la grandiloquence. Le Leporello de Tassos Apostolou s’approche davantage du « grand seigneur » que du « méchant homme »  qu’il prend malgré lui pour modèle : il entoure ses interventions de reflets moirés et garde une onctuosité sonore de tous les instants. Malgré un air du catalogue – avec la carte des boissons du bar – peu nuancé et essoufflé, il se rattrape par la suite avec une délicatesse de la projection qui hisse la condition du valet à celle du conseiller. Les « donnas » raffermissent quant à elles leurs revendications. Elvira martiale, Anna Stylianaki manie la colère et la conviction dans des lignes vocales déterminées et d‘une extrême précision. Vassiliki Karagiann campe une Anna aux remous intérieurs, tourmentée par le consentement qui lui a fait défaut sans pour autant vouloir se résoudre à se l’avouer. Bien que le phrasé montre parfois des signes de faiblesses, le nectar troublant de son timbre procure quelques sensations intenses. Contrairement à l’Ottavio transparent de Yannis Christopoulos, Chrissa Maliamani (Zerlina) et Nikos Kotenidis (Masetto) forment un couple pétillant. La paysanne laisse poindre un horizon de libération et des accents volontairement ordinaires, quand son fiancé déjoue avec brio les nœuds de la partition. Petros Magoulas est sans conteste le Commandeur qu’on attend : des graves comme des chardons ardents, une projection large et une dramaturgie décuplée par la voix.

Thibault Vicq
(tv.nationalopera.gr, février 2020)

Don Giovanni de Mozart, disponible sur GNO TV au tarif de 10€ jusqu’en juillet 2021.

Crédit photo © Andreas Simopoulos

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