Constellation de stars en ligne du Maggio Musicale Fiorentino : l’empathie plus que le plaisir

Xl_alexander_pereira__c__maggio_musicale_fiorentino © (c) Maggio Musicale Fiorentino

19h36, vendredi 1er mai : on se connecte au site du Maggio Musicale Fiorentino. Un décompte affiche que dans 1h24 débutera le live concocté par le surintendant Alexander Pereira. Ce dernier a réuni, comme Peter Gelb au Metropolitan Opera la semaine dernière, la crème des chanteurs lyriques pour un récital en salons communicants.

20h56 : on rafraîchit la page web : l’« Error establishing a database connection » qui accueille l’internaute ne sera que le début d’une série de défaillances techniques pour lesquelles il va falloir prendre son mal en patience, non sans exaspération…

21h03 : les F5 à répétition dévoilent finalement un plan d’Alexander Pereira sur la scène de son théâtre florentin aux fauteuils vides. L’ancien directeur du Festival de Salzbourg et de la Scala hésite entre l’anglais et l’italien, pour se fixer sur la langue de Dante, qu’il ne semble pas maîtriser complètement. Accrochages et hésitations, longues pauses, texte peu préparé, nervosité avouée, le dynamisme n’est pas vraiment au rendez-vous. Ce soir, les transitions et connexions donnent lieu presque systématiquement à des larsens, échos, crachins numériques ou superpositions gênantes pendant les prestations (notamment une superbe quinte de toux pendant l’a cappella plein de bonne volonté d’Eva Mei). Un apéro Zoom à la sauce aléatoire de Chatroulette, il fallait le faire. « Can you hear me? ». La tempête numérique n’épargne pas grand-monde.

Alexander Pereira contacte un Zubin Mehta masqué. L’intégrale des symphonies de Beethoven et la nouvelle production d’Otello qui étaient prévues ces deux prochains mois sous la baguette du chef indien, seront reprogrammées cet automne. « Inchallah », ajoute l’ancien directeur musical de l’Israel Philharmonic.


Sonya Yoncheva, Maggio Musicale Fiorentino


Lisette Oropesa, Maggio Musicale Fiorentino

Entre Instagram et les concerts en ligne, on commencerait presque à connaître aussi bien l’habitat des chanteurs que son chez-soi. La cuisine de Diana Damrau (celle-ci, victime du plus gros loupé technique du concert, laisse échapper un « Scheiße » inopiné) est à nouveau le théâtre du conte de fées alvéolé induit par la voix de la soprane. Lisette Oropesa, à Bâton-Rouge, prête sa finesse prosodique à des intervalles définis avec une immense précision et à une ligne de chant déconfinée. Depuis Genève, Sonya Yoncheva interprète un « Sole e amore » du Toscan Puccini en élans pulpés et densément légers (Krassimira Stoyanova proposera aussi cet air, élastique et gambadante, avant un « Salve Regina » de dentelle et plus lyrique). Alexander Pereira annonce d’ailleurs que la star bulgare incarnera le rôle-titre de Siberia de Giordano, à Florence, l’an prochain. À Lugano, Marco Armiliato accompagne Ambrogio Maestri, dans la peau de Dulcamara : les attaques bien enroulées, et le souffle, couplé à des césures de phrases étonnantes, font revêtir des masques multiples au baryton.

On poursuit L’Élixir d’amour avec Vittorio Grigolo, à l’Académie de Musique Tchaïkovski de Kiev, dans une sublime « Furtiva lagrima », aux nuances fantastiques et aux ralentis oniriques. À l’hôtel Baur au Lac (Zurich), dans le salon où a eu lieu la première mondiale du premier acte de La Walkyrie – avec Liszt au piano et Wagner au chant ! –, Thomas Hampson propose une chanson populaire américaine avec une palette trop subtile pour une prise de son de mauvaise qualité.

Puccini rencontre quatre autres supporters de luxe : Piero Pretti, faisant circuler les flux comme une éruption, attentif aux doux crépitements de tendresse passionnée de La Bohème ; Francesco Meli, dans la grandeur et l’énergie de Tosca ; Rosa Feola, fraîche et nostalgique dans les réminiscences de Gianni Schicchi ; Fabio Sartori, concluant le gala par un « Nessun dorma » très musical, à la projection nette et claire, et surtout sans les simagrées qu’on peut parfois y entendre. Le panorama de l’opéra italien se complète avec les superbes phrases gigognes d’Anna Pirozzi dans La Wally, l’Adriana Lecouvreur planante de María José Siri, et la grâce et la sensibilité de Cecilia Bartoli chez Bellini.

Les Noces de Figaro s’animent sous la houlette rebondie de Luca Pisaroni et du couple vivace Cassandre Berthon-Ludovic Tézier. Si l’italien domine largement la soirée, l’Espagne a sa citation à travers le duo de Saioa Hernández et Francesco Galasso – avec certes beaucoup de caractère, mais pas toujours précis –, ainsi qu’un Nicola Alaimo sonore et soutenu (dont on ne comprend qu’à la fin de l’air qu’il maniait la « ñ » et la jota). Le clou du spectacle survient avec Mikhail Petrenko dans le chant des bateliers de la Volga (« Ey, ukhnem! »), où la fulgurante basse russe fait tonner une lutte sourde et une puissance exceptionnelle.

Veut-on encore des récitals aux signatures aussi prestigieuses ? Oui, sans hésitation (2h30 de spectacle, comme ce 1er mai, restent toujours plus accessibles que les 4h du Met). Est-on prêt à subir des dysfonctionnements aussi fréquents au cours de la même soirée ? Non, assurément. Il incombe donc aux maisons d’opéra de trouver le juste milieu pour éviter de lasser le public avant la fin de ce long confinement.

Thibault Vicq
(maggiofiorentino.com, 1er mai 2020)

Le concert du Maggio Musicale Fiorentino est disponible en replay sur le site du festival.

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