Concert de l’Académie de l’Opéra national de Paris : les nouveaux espoirs contre-attaquent à Garnier

Xl_dscf0030 © Thibault Vicq

Pour célébrer les 350 ans de l’Opéra de Paris, le Palais Garnier avait accueilli pour le Nouvel An Sonya Yoncheva, Bryan Hymel et Ludovic Tézier (replay intégral ici) dans un programme qui, à défaut d’offrir un panorama musical depuis 1669, avait rappelé les grands succès de la maison au XIXe siècle. Moins de trois semaines plus tard, le concert de l’Académie, au même endroit, apparaît comme la seconde face d’une même pièce, tant il complète méthodiquement les airs entendus les 30 et 31 décembre. Le Gounod de Roméo et Juliette ce soir contre Faust au gala inaugural, Bizet représenté par le rare Djamileh plutôt que par Carmen et Les Pêcheurs de perles, une autre facette de Werther et Manon ; les couleurs hexagonales de Berlioz sont remplacées par Mozart ; Rossini et Donizetti supplantent Verdi ; l’opérette à la française de Charles Lecoq laisse place au champagne viennois de Johann Strauss.

Ce choix conforte l’exigence et la confiance d’une Académie mettant son vivier de talents dans le même bain que les stars du moment, dans les conditions optimales de récital avec l’Orchestre de l’Opéra national de Paris. Le réveil de la force lyrique s’inscrit chez les jeunes pousses, grandissant à vue d’œil et d’oreille.

Lors d'une masterclass de Philippe Jordan en mai, on avait découvert une Marianne Croux un peu timide lyriquement, peu prompte à se jeter dans la gueule du loup. Elle s’est métamorphosée : si la voix est toujours aussi puissante et d’un tempérament relevé, elle ose en Manon le jeu des ornements, une posture léchée des phrasés, une précision des intentions, et des nuances contrastées. La mezzo égyptienne Farrah El Dibany embrase la scène dans le rôle de l’esclave Djamileh : son numéro de séduction révèle un timbre chatoyant, libéré des vocalises et des valeurs rythmiques. L’ambigüité du personnage est vaillamment traduite par les fondus vertigineux du chant, quoique les départs et la vélocité gagneraient à se préciser pour témoigner d’une maîtrise totale et parfaite.

Parmi les derniers arrivants à l’Académie, la soprano Liubov Medvedeva livre un « Chacun le sait » (La Fille du régiment) au panache théâtral et à l’enchaînement très réussi. Quelques efforts sur la justesse lui procureront la sérénité optimale d’une appropriation de rôle. Le baryton Alexander York s’enlise dans l’attaque, plutôt que dans le phrasé, et son extrait de Così fan tutte se concentre en lourdeur, de surcroît sans grands contrastes. Timothée Varon, véritable révélation, caractérisé par une projection décoiffante, un souffle miraculeux et une présence charismatique, brille aussi bien dans le belcanto que dans le romantisme français. Le ténor corse Jean-François Marras semble encore peu confiant dans sa propre théâtralité, alors qu’il possède de grandes facilités de légato, de tenue et d’écoute. Pour l’instant plus à l’aise en français qu’en italien, c’est surtout le schéma robotisé de la musicalité et quelques tics un peu brouillons (les ports de voix, la fin de phrase respirée tout en montant la note) qui peinent à convaincre.

Trois « académiciens » ayant participé aux Liebeslieder Walzer l’année dernière confirment tout le bien qu’on pensait d’eux. Sarah Shine incarne une magnifique Zaide, fraîche comme un matin de printemps et riche en élasticité, malgré des broderies vocales un peu forcées. Jeanne Ireland modèle Charlotte (Werther) en splendeur glacée. Le vibrato se resserre dans les aigus, la prosodie se détache nettement de la ligne instrumentale pour mieux en faire émerger l’expressivité. Le Polonais Maciej Kwaśnikowski demeure plein de promesses en Ferrando clair et pur, mais trop uniformément scolaire, et en Almaviva vivant et vivace (particulièrement dans des récitatifs dont la précipitation colle sans faute à l’électricité contagieuse du personnage).

Danylo Matviienko, finaliste du Concours Reine Élisabeth, convoque le pouvoir du moelleux et la rigueur de la partition, sans oublier une diction de choc. La scène est un terrain de jeux facile pour Angélique Boudeville, deuxième prix de Voix Nouvelles. Le visage placide, elle compose une Donna Anna confondante grâce à ses piano, son soutien, sa technique infaillible. Elle se plonge avec noirceur dans Gounod comme dans un univers de barrières, qu’elle saute une à une : Juliette atteint un niveau dramatique prenant.   

À la tête de l’orchestre, Jean Deroyer fait d’abord peur dans la première partie. Mozart sonne sec et crispé, parfois inanimé, ce qui n’est guère arrangé par des décalages fréquents entre musiciens et des départs peu synchronisés. Massenet chaloupe à propos, les pupitres ne sont toujours pas ensemble. Après l’entracte, c’est l’amnésie de la première partie. Les textures reprennent leur malléabilité habituelle, le chef redonne à cet ensemble les épithètes qu’on lui connaît : voyageur et volubile, bouleversant et enchanteur. Et la curiosité de voir ces jeunes artistes grandir, en même temps que le potager sur le toit de Bastille, se mêle à l’attente de les voir interpréter les grands rôles aux côtés de ces instrumentistes.

Thibault Vicq
(Paris, le 16 janvier 2019)

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