Une Norma de cauchemar à La Monnaie de Bruxelles

Xl_sally_matthews_et_enea_scala_dans_norma___la_monnaie © Karl Forster

Il est difficile aujourd’hui, voire impossible, de monter Norma en se référant à l’histoire gallo-romaine… Astérix étant passé par là ! C’est donc dans notre immédiate contemporanéité que le metteur en scène / styliste / plasticien belge Christophe Coppens (qui signait également les décors et les costumes) a transposé le chef d’œuvre de Vincenzo Bellini au Théâtre Royal de La Monnaie – où le spectacle était à l’affiche depuis mi-décembre, avant qu’une loi absurde, abrogée depuis, ne vienne interrompre, le 22 décembre, des représentations déjà « dégradées » par des jauges fixées à 200 personnes.


Norma, Théâtre Royal de La Monnaie


Norma, Théâtre Royal de La Monnaie

La scénographie imaginée par Christophe Coppens se compose de hautes parois bétonnées, entre lesquelles s’agite une faune de marginaux extrémistes et violents (le peuple gaulois), dont Norma canalise avec beaucoup de mal les accès de rage et leur envie d’en découdre. Dans cet univers sombre et glauque, vécu comme un cauchemar éveillé, apparaissent régulièrement des voitures menaçantes comme autant de symboles totémiques de la violence sourde qui règne sur la scène. Les engins surgissent ainsi parfois des cintres tels une épée de Damoclès au-dessus de la tête des protagonistes, quand ils ne sont pas réduits à l’état d’épaves agglomérées – dont un sort à un moment d’une nappe d’eau au moyen d'une poulie, tandis que l’eau s’extrait des vitres brisées... Effet saisissant ! Bien évidemment, c’est dans l'une de ces voitures, aspergées d’essence, que le couple maudit finira par être brûlé vif sous le regard incrédule des spectateurs.

Il faudra aussi saluer la remarquable direction d’acteurs (réglée au cordeau) du trublion belge, qui offre une fine caractérisation des personnages et de leurs interactions, avec le concours de trois chanteurs-acteurs aux personnalités contrastées mais idéalement appariées. L’intense Norma de Sally Matthews s’accorde aussi bien avec l’Adalgisa frémissante de Raffaella Lupinacci, qu’avec le Pollione exalté d’Enea Scala, qui effectuaient tous ici une prise de rôle. Chaque duo porte la marque d’un véritable travail en commun et le finale du premier acte emporte les spectateurs dans un irrésistible déferlement d’émotions.

Le rôle-titre a ainsi été confié à la soprano anglaise qui nous avait offert une mémorable Daphne (de Richard Strauss) in loco il y a quelques années, et dont on pouvait se demander si elle aurait la capacité physique et technique de venir à bout de ce rôle aussi mythique que meurtrier. Mais il faudrait plus que les quelques tensions qui émaillent le fameux « Casta Diva » pour instiller le moindre doute, tant les ressources de l’instrument semblent inépuisables. Son chant, de plus en plus épanoui au fur et à mesure de la soirée, s’impose par la grâce, le contrôle scrupuleux de la ligne, la puissance de l’émission, la qualité des pianissimi, et enfin par l’investissement émotionnel de l’artiste. Une grande Norma est née !

Le Pollione d’Enea Scala lui est parfaitement assorti. Avec un timbre qui bénéficie toujours du même incontestable brillant, comme on a pu l'apprécier également il y a deux mois avec son Arnold phocéen, le ténor sicilien n’offre pas seulement à son personnage sa voix surpuissante, mais sait aussi lui conférer un luxe de demi-teintes, de phrasés et de nuances. Par ailleurs excellent comédien, il impose comme une évidence le fait d’être à l’origine d’une double passion. On attend avec impatience d'entendre son Raoul de Nangis dans Les Huguenots sur cette même scène en juin prochain.

De son côté, Raffaella Lupinacci (qui nous a accordé un entretien) est peut-être l’Adalgisa la plus juvénile et crédible qu'il nous ait été donné de voir et d'entendre sur scène. Plus fragile que sa partenaire, comme le réclame la psychologie de son personnage, la mezzo italienne déploie un phrasé belcantiste de très haute école, notamment dans un « Sola, furtiva, al tempio » d'une beauté renversante. Enfin, les comprimari, Loïc Félix en Flavio et Cristina Melis en Clotilde, sont de qualité tandis que le vétéran italien Michele Pertusi continue de conférer à son Oroveso l’autorité et le timbre de bronze qui siéent à son personnage.

Décidément très à l'aise dans le répertoire belcantiste, après son Elixir d’amour capitolin en 2020, le chef italien Sesto Quatrini obtient de l'Orchestre du Théâtre Royal de La Monnaie un parfait équilibre entre tenue et abandon, qui permet à la mélodie infinie de dérouler ses charmes capiteux, sans paraître ni alanguie ni corsetée. Surtout, il parvient, en authentique chef de théâtre qu'il est, à soutenir et respirer les individualités, tout en assurant la cohésion du plateau.

Une grande soirée de belcanto au Théâtre Royal de La Monnaie !

Emmanuel Andrieu

Norma de Vincenzo Bellini au Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles (décembre 2021).

Crédit photographique © Karl Forster

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