Un Parsifal sous le signe de l'épure et de l'abstraction au Théâtre du Capitole

Xl_7_-_parsifal_-_sophie_koch__kundry___nikolai_schukoff__parsifal__-_cr_dit_cosimo_mirco_magliocca © Cosimo Mirco Magliocca

Alors que l’Opéra national du Rhin affiche Parsifal (avec des bonheurs divers…), le Théâtre du Capitole se lance également dans cette aventure toujours un peu périlleuse au vu des nombreuses embûches qu'implique le testament de Richard Wagner. Aurélien Bory signe pour la ville rose une production visant à l’épure et à l’abstraction, qui repose essentiellement sur l’utilisation de néons et d’un théâtre d’ombres et de lumières (réglées par Arno Veyrat). Prenant le contre-pied des récentes mises en scène de Bayreuth (comme celle signée par Uwe Eric Laufenberg il y a quatre ans), l’action est ici des plus réduites, tandis que la direction d’acteurs est, elle, ramenée à des indications, au demeurant plutôt pertinentes, de quelques poses, regroupements ou déambulations simples. Mais c’est certainement pour mieux revenir à une autre tradition associant étroitement la continuité du tissu scénique avec le son, tel qu’il émane d’une fosse particulièrement favorable à la musique de l’Echanson de Bayreuth ?…

Et c’est bien de là que naît la plus grande satisfaction du spectacle, grâce au chef allemand Frank Beermann. Trop rare en France (on se rappelle d’une Sonnambula à Marseille… en 2004 !), il reçoit des vivats nourris au rideau final, et ce n’est que justice au regard de ses brillantes qualités. Avec des tempi plutôt allants (une heure quarante, une heure cinq et une heure dix), il réussit le pari de ne pas s’alanguir, sans pour autant tomber dans la supercherie, et fait un sort à chaque péripétie dramatique de l'action scénique. L’Orchestre National du Capitole de Toulouse, de son côté, confirme son excellence avec notamment un prodigieux fruité de la part des bois et un éclat saisissant de celui des cuivres. Mais aussi une capacité à trouver le juste équilibre avec les voix, un autre tour de force à mettre au crédit du chef certainement dû à son expérience des meilleures fosses d’Allemagne, comme celle de l’Opéra de Chemnitz dont il a longtemps été le directeur musical. Vivement de le retrouver diriger une de nos bonnes phalanges hexagonales !

Dans le rôle-titre, le ténor autrichien Nikolaï Schukoff – convaincant Lohengrin à Saint-Etienne il y a trois saisons – est également un Parsifal sur lequel on peut compter : il déploie sans défaillance une ligne de chant virile, constamment attentive au sens des mots, ce qui n'est pas le moindre de ses atouts. Mais c'est Sophie Koch, au zénith de ses moyens, qui rafle la mise au point de vue vocal. Après son incandescente incarnation d'Ariane (de Paul Dukas) in loco l’an passé, elle dessine une Kundry d’une incroyable complexité psychologique, grâce à son timbre aux flamboyantes nuances. Au I et III, son grave, et surtout la santé impérieuse de son médium, font passer un frisson dans la salle. Dans l'acte médian, le duo est l'occasion pour elle de faire une démonstration de beau chant, qui impose plus que le respect : l'admiration inconditionnelle ! Elle récolte un incroyable triomphe personnel, entièrement justifié, au moment des saluts. Luxe inouï que de retrouver le grand Matthias Goerne dans un de ses rôles emblématiques : grandiose jusque dans le murmure, son Amfortas fascine par la souplesse de son émission, autant que par sa projection d’une puissance incomparable (y compris dans les passages les plus tendus de son plaidoyer au III...). La basse britannique Peter Rose se montre décidément aussi excellent dans le répertoire comique (on pense à son Baron Ochs entendu dernièrement à la Staatsoper de Vienne...) que le répertoire dramatique, et les fameux monologues de Gurnemanz sont ici phrasés avec une ampleur veloutée qui ne manquent pas d’impressionner. Par ailleurs, la diction, incroyablement nette, donne à ces longs moments d’introspection narrative une emphase qui ne vire jamais à la grandiloquence. Chanteur sous-estimé en France, Pierre-Yves Pruvot fait preuve de tout son grand talent (tant vocal que scénique), en apportant à Klingsor son timbre d’une noirceur idéalement adaptée. Et quel plaisir de voir le rôle distribué à un chanteur dans la force de l’âge, non pas à un artiste en fin de course, comme c’est souvent le cas. De son côté, Julien Véronèse se montre remarquable de sobriété dans le plus épisodique personnage de Titurel, tandis que tous les seconds rôles (Filles-Fleurs, Ecuyers et Chevaliers) ne méritent que de vives louanges. Enfin, les chœurs conjugués de Toulouse et de Montpellier (c’est-à-dire d’Occitanie !) en imposent par la beauté rayonnant de chaque pupitre, autant que par la souplesse fluide des divers registres. Bravo à eux aussi !

Emmanuel Andrieu

Parsifal de Richard Wagner au Théâtre du Capitole, jusqu’au 4 février 2020

Crédit photographique © Cosimo Mirco Magliocca

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