Un Don Pasquale (trop) tragique à la Staatsoper de Stuttgart

Xl_don-pasquale © Martin Sigmund

Après nous avoir infligé ce qu’on peut voir de pire dans le genre regietheater – une triste Norma au Teatro Massimo de Palerme en 2014 ou un épouvantable Ariodante in loco l’an passé –, le duo Jossi Wieler / Sergio Morabito propose une nouvelle production de Don Pasquale à la Staatsoper de Stuttgart, institution dont ils gèrent ensemble la destinée. Avouons que ce qu’ils nous proposent ici s’avère moins pire que d’habitude, et si le décor très contemporain (signé Jens Kilian) ne présente guère d’attrait, au moins ne vient-il pas trop agresser le regard. Le spectacle commence même très bien avec une vidéo aussi drôle que réussie (conçue par le Studio Seufz), projetée pendant l’ouverture, et qui préfigure l’histoire du jeune couple, sous forme d'un dessin animé. La suite se gâte car les deux metteurs en scène allemands n’ont retenu que le côté tragique de l’histoire, en se concentrant sur le destin malheureux et les désillusions amères du pauvre Don Pasquale. Pourtant truffée d’humour, dans le livret comme dans la musique, l'opéra bouffe de Gaetano Donizetti est ici plombée par cette vision désespérée, et l’on ne rit pas de toute la soirée, ce qui est un comble dans un ouvrage comme Don Pasquale ! 

Les chanteurs se tirent mieux d’affaire, mais ce sont les voix d’hommes qui séduisent d’abord. Le vétéran italien Enzo Capuano campe un Pasquale touchant : le timbre est chaleureux et profond, et son portrait de barbon imbu de lui-même s’avère très convaincant. Dans le rôle de Malatesta, le baryton allemand André Morsch offre une voix claire et déliée, de même qu’une attrayante présence scénique, mais un traitement plus cavalier des récitatifs. Doté d’une voix plus ronde et plus ample que de coutume dans cette partie, le jeune ténor roumain Ioan Hotea (que nous avions remarqué dans une Scala di Seta à Liège en 2016) campe un superbe Ernesto, tant sur le plan stylistique que musical, et il nous gratifie au dernier acte d’une sérénade (« Com’è gentil ») de haut vol. Si la soprano macédonienne Ana Durlovski – déjà entendue sur la scène stuttgartoise dans La Traviata en 2014 et dans l’Ariodante précitée – fait preuve de beaucoup d’abattage, son timbre apparaît beaucoup trop pointu (pour ne pas dire désagréable) pour rendre justice au personnage de Norina, dont elle ne possède par ailleurs pas l’humour (trop habituée à interpréter des rôles tragiques, peut-être, en plus de la volonté des metteurs en scène en ce sens...). Enfin, bras droit du malicieux Malatesta, le Notaire de la basse croate Marko Spehar complète avec beaucoup de bonheur l’affiche.

Grand habitué des lieux, le chef italien Giuliano Carella porte visiblement cette musique en lui et fait donc facilement vivre cette partition de pur charme, à la tête d’un Orchestre de la Saatsoper de Stuttgart brillant, enjoué, débordant de vitalité. Grâce à un usage toujours pertinent du rallentando, du rubato et des variations d’intensité, Carella tend et distend les mailles du discours rythmique et mélodique, obtenant un résultat aussi percutant sur le plan théâtral que musical. Bravo maestro !

Emmanuel Andrieu

Don Pasquale de Gaetano Donizetti à la Staatsoper de Stuttgart, jusqu’au 29 mai 2018

Crédit photographique © Martin Sigmund
 

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