Streaming : Carmela Remigio irradie dans Alceste au Teatro La Fenice

Xl_alceste © DR

En ces temps de confinement et de fermeture des salles, nous poursuivons notre exploration des différentes plateformes lyriques qui dispensent, jour après jour, des opéras en streaming, et OperaVision n’est pas la moindre d’entre elles. La plateforme, soutenue par le Programme Europe Créative de la Commission européenne, collabore avec près de 29 structures lyriques dans 17 pays différents. À l’instar du célèbre Teatro La Fenice de Venise où a été captée, en 2015, cette production de l’Alceste de Christoph Willibald Gluck dans sa version de Vienne (en italien) de 1767 – qui contraste avec la révision parisienne de 1776, dont nous avions vu une production à l’Opéra de Lyon en mai 2017, marquée avant tout par le profil tragiquement français de la protagoniste, l’apparition du héros Hercule et la suppression du rôle d’Ismene, la situation de la scène finale aux portes des Enfers au lieu de la cour du Palais d’Admète, ou encore les récitatifs accompagnés à la place des secchi... Cette Alceste en italien est indiscutablement plus avare d’enjeux dramatiques, plus constamment pathétique, mais elle illustre pourtant l’intention première du compositeur bavarois : faire preuve d’une « belle simplicité ».

La production de l’inoxydable et indéboulonnable Pierluigi Pizzi (âgé de 85 ans à l’époque) inscrit toute l’action devant le portique d’un palais, aux lignes sobres et d’un blanc immaculé, typique de ses scénographies depuis plus d’un demi-siècle, car il signe, comme à chaque fois, les décors et les costumes en plus de la régie... Leur élégance revendique également cette « belle simplicité », à laquelle il faudra rajouter les éclairages efficaces de Vincenzo Raponi. Avec ce nouveau travail, l’homme de théâtre italien renouvelle ce qui fait sa force depuis toujours : accorder la totalité de ses intentions à la moindre vibration musicale. Tout paraît définitif dès les premières images, mais on se rend compte bien vite que tout va bouger, comme le chœur (l’Alceste italienne fait partie de ces œuvres où la part chorale est cruciale dans la réussite de l’exécution…) qui passe de l’indifférence du début à une participation de plus en plus grande à l’évolution du drame de l’héroïne. Le chœur de tragédie grecque, fidèle à l’esthétisme de l’époque, devient ainsi le peuple pleurant avec sa reine, épousant alors les revers chargés d’émotion de la partition.

Actrice et chanteuse fascinante, la soprano italienne Carmela Remigio (dont nous avons tant regretté le désistement de dernière minute, l’été dernier, dans Ecuba de Manfroce à Martina Franca) irradie dans le rôle-titre, mettant une poignante profondeur à incarner cette figure emblématique du sacrifice conjugal. Le rôle d’Alceste exige beaucoup d’impact dans le registre médian de la voix ; la puissance et la maîtrise de l’instrument central de la cantatrice y font ici merveille. La souplesse dont elle fait preuve dans la négociation du passage supérieur est tout aussi frappante, couronnée d’aigus immanquablement tranchants et contrôlés. Moins heureux s’avère le choix du ténor étasunien Marlin Miller dans le rôle d’Admeto car s’il lui donne une allure toute royale, en traduisant bien toute l’ambivalence du personnage, son émission connaît en revanche trop de problèmes d’intonation et de justesse, aboutissant à des accents par trop « véristes » dans les aigus, qui n’ont rien à faire et à voir avec l’univers gluckiste. De leurs côtés, la basse italienne Vincenzo Nizzardo impose d’emblée l’autorité suprême du Grand-Prêtre d’Apollon (et voix d’Apollon), la délicate Zuzana Markova offre son timbre opalescent à la fidèle Ismene, et Giorgio Misseri livre un Evandro varié dans ses affects.

Au pupitre, le chef français Guillaume Tourniaire surprend agréablement par la modération et l’équilibre de ses tempi, et sa lecture rend justice, avec l’appui des parfaits stylistes que sont l'Orchestre et le Chœur du Teatro La Fenice, à la hauteur de pensée que reflète l’écriture musicale en général, et vocale en particulier. Le ton est vivant, jusque dans la profonde gravité, et l’allégorie elle-même n’y revêt pas un caractère anecdotique.

Emmanuel Andrieu

Alceste (version de Vienne) de Christoph Willibald Gluck au Teatro La Fenice sur la plateforme d’OperaVision
 

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