A Lyon : prise de rôle saisissante de Karine Deshayes dans une production d'Alceste royale et efficace

Xl_alcesteg-rjeanlouisfernandez096 © Jean-Louis Fernandez

L’Opéra de Lyon (qui vient d’être nommé « Maison d’opéra de l’année » aux derniers International Opera Awards) donne actuellement une nouvelle production d’Alceste de Gluck, dont la préface est considérée par beaucoup comme l’une des plus importantes de l’histoire de l’opéra, puisqu’elle va revenir sur les rôles de chaque élément présent dans un opéra : la place de l’orchestre, des chanteurs, du compositeur… La mise en scène est ici signée Alex Ollé, l’un des six directeurs artistiques du collectif catalan de mise en scène La Fura dels Baus. Suite à un préavis de grève, la représentation du 2 mai s’est vue reportée au 17 mai, ce qui permet au public d’assister un peu plus tard que prévu à cette production qui marque par ailleurs la prise de rôle de Karine Deshayes en Alceste.


Alceste, Opéra de Lyon ; © Jean-Louis Fernandez

La soirée débute par la projection d’un film muet permettant de découvrir Alceste et Admète dans une époque moderne, se préparant à prendre la voiture et partant sur la route, en pleine campagne. La musique du prologue débute lorsqu’Admète mettra en marche la radio de sa voiture, plongeant alors le film dans l’ambiance de l’opéra. Le caractère tragique apparaît finalement à l’écran lorsque la voiture du couple (alors en pleine dispute) se retourne, chacun des deux se retrouvant à moitié sorti de chaque côté du véhicule. Le rideau s’ouvre alors, et nous découvrons une vaste pièce au décor néo-classique dans laquelle se trouve une seconde pièce vitrée, aux allures de chambre hospitalière, dans laquelle repose Admète dans le coma, avant que l’on y retrouve Alceste dans la deuxième partie. Alex Ollé réussit donc à actualiser l’œuvre sans la dénaturer et le choix du prologue filmé a été fait afin de « rendre crédibles [les] mécanismes psychologiques [des personnages] », selon la note du programme.
De beaux tableaux se succèdent ainsi, notamment grâce aux lumières de Marco Filibeck qui permet de changer d’atmosphère et de faire vivre le décor. Nous citerons par exemple le deuxième acte où le prolongement à l’infini de la pièce dans des lumières vertes nous transporte en chemin vers les enfers, ou encore les lumières bleues dans lesquelles évoluent les patients en tenue d’hôpital aux allures, non sans raison, de morts-vivants. La fin de l’opéra reste toutefois quelque peu étrange : après avoir projeté une vidéo de la famille toute entière se retrouvant dans les champs, heureuse, pour une belle photo, nous revenons sur scène et le prologue est repris pour nous montrer une sorte d’épilogue totalement absent du livret de l’œuvre : nous assistons aux funérailles d’Alceste et l’opéra se clôt sur l’image d’Admète l’enlaçant dans son cercueil. Certainement faut-il voir là que l’intervention de Hercule aux enfers n’étaient qu’un rêve et qu’elle n’a pas eu lieu, mais cela reste assez flou pour le spectateur.


Karine Deshayes (Alceste) et Alexandre Duhamel (Grand Prêtre) ;
© Jean-Louis Fernandez

Toutefois, la scène qui marque probablement le plus les esprits reste celle du grand prêtre, interprété ici par Alexandre Duhamel : les proches du roi et de la reine se retrouvent autour d’une table, avec pour seules lumières apparentes les bougies sur la table ainsi que dans les mains de chaque choriste, sans oublier la flamme centrale. L’atmosphère nous transporte alors dans les mystères antiques, de même que la voix du baryton français qui est ici saisissant : la projection est nette, peut-être même au point d’en devenir agressive dans les premières notes, la prononciation est excellente, le timbre est profond et magistral. C’est sans surprise que, malgré le caractère secondaire du rôle, il récolte un surplus d’applaudissements au moment des saluts.

Mais ceux qui sont les plus attendus restent les interprètes du couple royal, Karine Deshayes et Julien Behr. Comme dit plus haut, la première effectue là une prise de rôle, la seconde en peu de temps après celle d’Armida à Montpellier en mars dernier. En ce soir du 6 mai, la voix était bien projetée, la diction tout simplement excellente même si l’on sentait une très légère difficulté à tenir le rythme dans les parties les plus rapides (sans que cela ne gêne vraiment), et surtout, les aigues paraissent faciles et étonnamment souples pour la tessiture de la cantatrice. L’incarnation du personnage est indiscutable, et l’image du saut dans le vide d’Alceste depuis la rambarde, en contre-jour, est saisissante. Quant au second, originaire de Lyon, il était donc particulièrement attendu. Malheureusement, si le jeu et la prononciation sont au niveau de sa partenaire, la puissance de la voix déçoit quelque peu : certes, Admète est sensé tout juste sortir du coma, mais cela ne devrait pas l’empêcher d’être mieux entendu.


Julien Behr (Admète) et Karine Deshayes (Alceste) ; © Jean-Louis Fernandez

Les autres personnages secondaires sont également à la hauteur de la distribution, à commencer par le Hercule de Thibault de Damas aux allures de Jésus quelque peu maigrichonnes pour ce personnage mais faisant écho au tableau de la Cène ainsi qu’aux différents repas semblant s’y référer. La voix est claire, le timbre est beau et le personnage est fort bien assuré mais la prononciation ne se hisse pas encore au même niveau d’excellence que ceux de ses collègues. Enfin, différents rôles ont été donnés à certains solistes du Chœur de l’Opéra de Lyon qui tous relèvent l’exercice brillamment.

Le Chœur se révèle d’ailleurs brillant dans son ensemble, avec des interventions puissantes, nettes, et un bel investissement global. Il participe véritablement au succès de la soirée, de même que les artistes de l’Orchestre. Cette production est la première du Bollenti Spiriti, un ensemble baroque formé sur instruments anciens au sein de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon et placé sous la direction de Stefano Montanari. Ce dernier offre une lecture et une direction exceptionnelle qui, interprétée par ce nouvel ensemble, donne une autre dimension à l’œuvre de Gluck grâce notamment à de très belles nuances et une maîtrise de la partition au service du texte, en bel accord avec les souhaits du compositeur.

Une belle production à découvrir à l’Opéra de Lyon jusqu’au 17 mai.

Elodie Martinez

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