Stephen Gould, bouleversant Peter Grimes à la Staatsoper de Vienne

Xl_01_peter_grimes_94013_van-den-heever_gould © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

C’est avec cette production signée par Christine Mielitz que Peter Grimes de Benjamin Britten avait fait son entrée au répertoire à la Staatsoper de Vienne, il y a tout juste vingt ans. Cette digne héritière de Harry Kupfer signait là une production d’un remarquable professionnalisme et d’une parfaite cohérence, cependant trop ciblée sur les rapports sociaux conflictuels avec la société bien-pensante plutôt que sur la « différence » au sens large du terme, pour rendre perceptible toute la complexité de l’œuvre. En voulant généraliser le propos par un décor abstrait aux lignes géométriques (esthétiquement très beau, avec des éclairages sensationnels), en enlevant au village les maisons et, surtout, la mer dont on doit sentir l’omniprésence, même si on ne la « voit » pas, en situant l’action dans les années trente dans un lieu indéfini mais résolument allemand, avec son atmosphère brechtienne, le spectacle, loin d’universaliser le message, a, tout au contraire, un effet réducteur ; le climat du cabaret de Peter Grimes n’a aucun rapport avec ceux décrits dans Wozzeck ou Mahagonny, auxquels on ne peut s’empêcher de penser trop souvent ici. Reste, ce n’est pas rien, une formidable direction d’acteurs et de foule, comme l’intensité des rapports entre Grimes et l’enfant, dont le rôle n’a jamais été aussi déterminant.

Bouleversant de bout en bout, le ténor américain Stephen Gould – formidable Tristan cet été au Festival de Bayreuth - ne déçoit jamais notre attente et le rôle ne lui pose aucun problème vocal. S’il en donne une interprétation fort différente – mais tout aussi nuancée, alternant lyrisme et dramatisme – que celle historique de Jon Vickers, il l’aborde lui aussi en ténor à part entière, et non comme un chanteur de semi-caractère. Théâtralement, dans la mesure où la mise en scène réfute totalement l’hypothèse homosexuelle, Gould met l’accent sur la fragilité et la névrose d’un être refoulé, aux personnalités multiples, ne parvenant pas à maîtriser son côté violent. Il est assurément un des grands Peter Grimes de notre temps !

A ses côtés, nous retrouvons la non moins grande Elza van den Heever, saluée maintes fois dans ces colonnes, comme pour sa Norma en juin 2015 ou son Elisabetta (Don Carlo) en octobre de la même année, les deux fois à l’Opéra national de Bordeaux. La soprano sud-africaine campe une Ellen Ford à la voix aussi chaleureuse que le cœur, riche d’accents particulièrement éloquents, notamment dans l’Embroidery Aria du dernier acte qui déchire l’âme. Quant au baryton américain Brian Mulligan, il incarne un Balstrode volontaire et puissant, tandis que Norbert Ernst (Bob Boles), Donna Ellen (Mrs Sedley) et Monika Bohinec (Auntie) en tête forment une équipe prodigieuse de cohésion et de vérité dramatique dans tous les « petits » rôles dont l’importance est cependant majeure dans Peter Grimes.

Enfin, sans démériter sur le plan purement technique – l’Orchestre de l’Opéra de Vienne joue superbement et la cohésion entre la fosse, les chœurs maisons splendides et tous les interprètes, se révèle irréprochable -, le maestro britannique Graeme Jenkins ne parvient malheureusement pas à restituer la poésie et la délicatesse de la partition ni, surtout, la transparence et les couleurs de l’orchestration. En accentuant le dramatisme de la musique, il s’accorde, en revanche, avec la proposition scénique de Mielitz.

Emmanuel Andrieu

Peter Grimes de Benjamin Britten à la Staatsoper de Vienne, le 21 décembre 2016

Crédit photographique © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

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