Le Tristan und Isolde de Katharina Wagner hué au Festival de Bayreuth

Xl_tristan © Enrico Nawrath

Si Richard Wagner a voulu faire du Festspielhaus de Bayreuth le point central de sa révolution musicale et intellectuelle, il n'aurait pas forcément goûté de voir le lieu métamorphosé en chapelle sixtine de sa « musique de l'avenir ». Même si le phénomène de mode a supplanté quelque peu le fanatisme des premiers temps, Bayreuth reste LA référence de tout passionné d'art lyrique. Pour cette édition 2016, les festivaliers gravissent la Colline pour y découvrir la nouvelle production de Parsifal signée par Uwe Eric Laufenberg, tandis que, du côté des reprises, ce sera surtout la quatrième saison du génial et provocant Ring mis en scène par Frank Castorf. Première soirée d'une série de trois, nous faisons nos premiers pas dans la salle mythique avec Tristan und Isolde, comme imaginé par la Maîtresse des lieux - Katharina Wagner - l'arrière petite-fille de l'illustre compositeur...

Contrairement à l'audacieux brûlot de ses Meistersinger, ici-même à Bayreuth, le Tristan de Katharina Wagner se place dans un registre beaucoup plus posé et consensuel. L'enjeu se place d'emblée sur la dimension visuelle – voire picturale, si l'on tient compte des variations sur le motif géométrique du trompe-l'œil à l'acte I et la référence aux peintres flamands au III. Le navire qui ramène Isolde en Cornouailles flotte sur un océan fait d'une jungle d'escaliers mobiles sur lesquels les futurs amants peinent à se retrouver. Au détour d'une impasse ou d'une fausse piste, c'est le danger qui les guette et l'amour ne surviendra qu'au hasard d'un accident de parcours. Baigné dans des couleurs froides et sombres, le plateau se change à l'acte II en arène carcérale, surveillée par Marke et Melot en surplomb. Les amants cherchent en vain à fuir le projecteur de surveillance, braqué sur eux. Tandis que Tristan se débat, prisonnier d'un curieux système de cadenas métallique (rappelant furieusement… un garage à vélo), Isolde est réduite à la dimension d'une proie par Marke et ses sbires. C'est d'ailleurs cette attitude quasi démoniaque qui interpelle le plus dans le jeu subtil des décalages avec le livret. Tristan est dépeint à travers une souffrance continue et un caractère visiblement soumis et effacé, tandis que Marke est dominateur et en plein pouvoir de ses moyens. L'éclairage à l'acte III crée des oppositions parallèles entre le cercle des serviteurs de Tristan et les apparitions d'Isolde, sous la forme d'un spectre mystérieux dans un prisme triangulaire qui se déplace dans l'espace, tel un objet insaisissable. A la toute fin du spectacle, le Roi Marke se saisit d'Isolde comme d'un vulgaire paquet, alors qu'elle achève le fameux Liebestod, privant ainsi la princesse d'Irlande de sa mort. La trivialité de la scène n'est pas du meilleur effet, annihilant l'espace mental onirique dont la scène finale ne peut faire l'économie, à nos yeux. Est-ce à cause de cette dernière image - ou pour l'ensemble du spectacle -, mais l'apparition de Katharina Wagner au moment des saluts déchaîne un flot de huées tel que nous n'en avions encore jamais entendu !

Difficile donc de dire si cette production parviendra à passer le cap de la deuxième année sans dommages. Le second écueil vient assurément de la tentative hasardeuse de remplacer Evelyn Herlitzius par Petra Lang. Tirant le rôle vers une zone vocale rappelant son Ortrud, elle force outrageusement le trait et finit par transformer la ligne en un hurlement continu. Par bonheur, le reste de la distribution n'appelle que des éloges, à commencer par le Tristan de Stephen Gould. Grand habitué du rôle - qu'il a chanté sur les plus grandes scènes internationales -, le ténor américain en possède aussi bien le lyrisme que l'éclat. En plus d'une diction exemplaire, il est doté d'une intelligence musicale inouïe et il affiche bien, autant physiquement que dramatiquement, la stature requise. De bout en bout, il fait ainsi preuve d'une formidable vaillance - notamment dans l'éprouvant troisième acte -, se montrant par ailleurs bouleversant dans le délire extatique qui s'empare du héros au moment des retrouvailles avec Isolde.

Remplaçant Christa Mayer initialement prévue, la mezzo allemande Claudia Mahnke se révèle une solide Brangäne. Bien timbrée, la voix fait montre d’une puissance et d’une projection impressionnantes. De son côté, le baryton-basse écossais Iain Paterson incarne un Kurwenal bouleversant d'humanité : son jeu expressif et son chant racé en font tout simplement un serviteur d'exception. Le Roi Marke est confié à la basse Georg Zeppenfeld dont l'intense monologue du II restera sans nul doute le moment le plus fort de la soirée. On ne sait où donner de l'oreille et qu'admirer le plus chez le jeune chanteur allemand : sa musicalité profonde, la noblesse de ses accents, la clarté de sa diction ou son prodigieux phrasé, digne des plus grands Liedersänger. Dans les rôles secondaires, Raimund Nolte est un Melot plus que correct, Kay Stiefermann un Timonier convaincant et un Tansel Akzeybek un Berger de bonne tenue

La fosse tantôt paresseuse, tantôt interventionniste, ne trouve pas en Christian Thielemann matière à s'enthousiasmer : c'est le troisième écueil de la soirée. Si l'Orchestre du Festival de Bayreuth offre parfois des sonorités ensorcelantes, le drame et le théâtre sont ici relégués au second plan, pour laisser place à la seule recherche du beau son. Pour celui qui attend, dans le chef d'œuvre de Wagner - à l'instar de votre serviteur -, tension dramatique et envolées lyriques, il faudra donc repasser....

Bref, pour notre première incursion dans le Saint des saints, la déception (subie) l'emporte sur l'enthousiasme (escompté)...

Emmanuel Andrieu

Tristan und Isolde de Richard Wagner au Festival de Bayreuth, du 1er au 22 août 2016

Crédit photographique © Enrico Nawrot

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