La Juive de Fromental Halévy ouvre avec éclat la saison 22/23 du Grand-Théâtre de Genève

Xl_la_juive_de_hal_vy___gen_ve © Magali Dougados

Après Lyon en 2016 et Strasbourg en 2017, c’est au tour du Grand Théâtre de Genève de mettre à son affiche La Juive (1835) de Fromental Halévy, l’un des principaux archétypes du Grand-Opéra français, dont les problématiques religieuses et communautaires ont, de nos jours, toujours autant de sens – et c’est d’ailleurs sous le titre très politique de « Mondes en migration » qu’Aviel Cahn a placé sa saison 22/23.

Pour cette nouvelle production (en partenariat avec le Teatro Real de Madrid), l’homme de théâtre suisse a fait appel à l’Américain David Alden, dont les propositions scéniques nous ont parfois laissé des sentiments mitigés, comme avec sa Khovantchina en 2014 ou son Lohengrin en 2018, montés tous deux à l’Opéra Ballet des Flandres - où officiait justement à l’époque Aviel Cahn. A côté des productions d’Olivier Py (à Lyon) et de Peter Konwitschny (à Strasbourg), celle d’Alden paraît bien sage, et cousue de fil blanc avec ses scènes attendues de méchants et horribles chrétiens, défigurés ici par d’horribles masques léprosés, et mûs par une haine féroce envers les gentils juifs persécutés, sans cesse repoussés par les croix qu’agite en tout sens le peuple chrétien, avant qu’une immense croix ne descende des cintres pour mieux les écraser. Pas sûr, non plus, que la transposition dans les années 30 (en font foi les costumes des personnages principaux, alors que ceux du chœur renvoient à la période du livret), à l’époque de la montée du nazisme, soit si judicieux, avec un parallélisme un peu trop évident, même si la scène finale se révèle d’une incroyable force dramatique : Rachel se dirige dans un container posé sur des charbons ardents, le bûcher du livret étant ici remplacé par un four crématoire évoquant l’Holocauste. Le message étant on ne peut plus explicite, les spectateurs, quelque peu tétanisés, attendent un certain laps de temps avant d’applaudir cette saisissante scène finale.

La soirée repose avant tout sur l’époustouflante prestation du ténor américain John Osborn, dans le rôle d’Eléazar. Après ses incarnations de Jean de Leyde (Le Prophète) à Essen en 2017, de Raoul de Nangis (Les Huguenots) in loco en 2019, ou de Robert (Le Diable) à l’Opéra national de Bordeaux l'an passé, on le sait sans rival ou presque dans ce type d’emploi, conçu pour les épaules du célèbre ténor Adolphe Nourrit. Au-delà de ses incroyables qualités vocales, il incarne un Eléazar tragique d’une poignante vérité psychologique et dramatique. Mais l'on n'en admire pas moins sa diction souveraine, l’élégance de sa ligne de chant, ses demi-teintes subtiles et ses suraigus éclatants, portés par une technique sans faille. Il fait délirer le public après son grand air « Rachel, quand du Seigneur », d’autant que la magnifique cabalette « Dieu m’éclaire » ne passe pas à la trappe (pour une fois !), et qu’il la délivre de saisissante manière !

S’exprimant dans un français exemplaire, comme tous ses partenaires du reste, la soprano arménienne Ruzan Mantashyan (déjà superbe Natacha dans Guerre et Paix de Prokofiev l’an passé en ouverture de saison genevoise) confirme les excellentes impressions qu’elle nous avait alors laissées. Chanteuse attachante autant que musicienne sensible, elle nous fait croire de bout en bout à son personnage, et possède surtout l’exact format du Falcon qu’appelle le personnage de Rachel, c’est-à-dire une voix longue et facile, avec des aigus rayonnants et un registre grave sonore. De son côté, le ténor roumain Ioan Hotea apporte à Léopold d’évidentes qualités stylistiques, en plus d’un timbre ensoleillé et superbement projeté. Il parvient même à donner du relief à ce personnage aussi ingrat que pleutre. Souffrante, Elena Tsallagova a dû laisser la place le jour même à sa consœur argentine Mercedes Arcuri, qui n’a donc pas eu le temps d’apprendre la partie scénique de son rôle, l’obligeant à chanter devant son pupitre placé côté jardin, tandis qu’une comédienne (Roman Golan) mimait son personnage sur scène. Et c’est un beau triomphe personnel que son Eudoxie récolte de la part d’un public reconnaissant, d’autant qu’elle possède un joli soprano léger, une aisance vocale virtuose, et même une ampleur qui lui permet d’affronter sans rougir les différents ensembles dans lesquels elle se trouve impliquée. Enfin, le baryton croate Leon Kosavic se montre aussi percutant en Ruggiero qu’en Albert, tandis que la basse russe Dmitry Ulyanov incarne un émouvant Cardinal de Brogni, certes mal à l’aise sur les Mi-bémols aigus de la « Malédiction », mais en revanche au grave d’une belle profondeur dans son grand air « Si la rigueur et la vengeance ».

Dernier bonheur de la soirée, et non des moindres, la direction musicale de Marc Minkowski, déjà en fosse dans deux des trois productions meyerbeeriennes précitées, et dont on connaît la passion pour ce répertoire. A la tête d’un Orchestre de la Suisse Romande que l’on ne peut qualifier autrement que de torrentiel (un choix que certains trouveront discutable pour cette partition…), le chef français imprime à la soirée un rythme implacable qui culmine dans un final tout simplement fracassant !

Emmanuel Andrieu

La Juive de Fromental Halévy au Grand Théâtre de Genève, jusqu’au 28 septembre 2022

Crédit photographique © Magali Dougados

La Juive - Grand Théâtre de Genève (2022)

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