Karine Deshayes triomphe de la redoutable Semiramide de Rossini à l'Opéra de Saint-Etienne

Xl_s_miramide © Cyrille Cauvet

La figure mythique de la belle reine de Babylone, Sémiramis, au caractère cruel et violent, aux mœurs dissolues, souveraine à laquelle la légende (grecque) attribue crimes et actions d'éclat, n'a pas manqué d'inspirer maintes fois les artistes, notamment dramaturges et musiciens. Après les écrivains grecs et latins (d'Hérodote à Diodore), le grand poète Métastase s'en empara au 18e siècle pour une œuvre théâtrale créée en 1729, que mettront ensuite en musique des musiciens aussi célèbres que Vinci, Porpora, Jomelli, Traetta mais aussi Salieri, Cimarosa ou encore Sacchini et Glück... Néanmoins, c'est à partir de la tragédie qu'en tirera aussi Voltaire (en 1748) que Gioacchino Rossini écrira sa partition, y trouvant l'intrigue plus simple (on n'ose imaginer ce que pouvait être la première mouture au vu de l'abracabrantesque histoire ici relatée !...). Ecrite pour son épouse Isabella Colbran, l'opéra verra le jour en 1823 à la Fenice de Venise où l'œuvre reçut un accueil triomphal avant de gagner les plus grandes scènes d'Europe (Vienne, Milan et Londres, dès 1824...). Semiramide restera surtout comme un des plus beaux opéras jamais écrits par le Cygne de Pesaro mais aussi comme son dernier ouvrage créé en Italie, Rossini rejoignant peu après Paris, ville où il composera ses ultimes opéras (jusqu'à son fameux Guillaume Tell, en 1829).


Semiramide, Opéra de St-Etienne ; © Cyrille Cauvet

Il en fallait du courage, à l’Opéra de Saint-Etienne, pour monter une œuvre aussi ardue, alors que c’est essentiellement les grandes maisons internationales – à l’instar du Metropolitan Opera de New-York qui met l’ouvrage à son affiche au même moment – qui tentent l’aventure... une gageure que la maison stéphanoise ne réussit à relever que partiellement.

D’abord à cause de la proposition scénique confiée à la metteuse en scène allemande Nicola Raab, étrennée l’an passé à l’Opéra national de Lorraine, et que notre collègue Elodie Martinez avait très bien analysée. Si cette transposition sur une scène de théâtre à l’époque baroque fait revivre sous nos yeux un âge d’or révolu, avec force costumes magnifiques, le procédé a vite fait de tourner en rond/à vide… et aux premiers instants éblouis succèdent bien vite un vague ennui, d'autant que commencé à vingt heure, le spectacle ne s’achève qu’à près de minuit !

Ensuite, à cause d’une distribution masculine qui est loin de satisfaire aux exigences des rôles, à commencer par l’Idreno de Manuel Nunez-Camelino qui, par bonheur, n'ose que le second air de son personnage : si le ténor argentin dispose d'un timbre clair et joli, celui-ci s'étrangle dès qu'il lui faut sertir son chant de quelques notes hautes difficiles d'accès, tandis que la vocalise se montre laborieuse et le souffle court, et qu'enfin il peine à se faire entendre ! Le baryton-basse italien Daniele Antonangeli offre une technique plus sûre, mais ne possède ni la puissance, ni le mordant, ni la noirceur de timbre requis par sa partie. Las, l’acteur ne parvient par ailleurs à aucun moment à jouer les méchants, le jeu étant à l’image de la voix, c’est-à-dire placide…


Semiramide, Opéra de St-Etienne ; © Cyrille Cauvet

Mais que le lecteur se rassure, la distribution féminine atteint quant à elle des sommets, et valait à elle seule le voyage vers la cité stéphanoise. Car après son Armide à l’Opéra de Montpellier l’an passé, Karine Deshayes confirme ses affinités avec les operas serie de Rossini, et triomphe du redoutable rôle de Sémiramis, l’une des plus royales figures du répertoire lyrique. Avec son timbre rond et ferme à la fois, la cantatrice n’a pas de mal à être crédible en souveraine sanguinaire, aux attitudes nobles et au chant altier. On ne peut qu’admirer la facilité avec laquelle elle escalade les plus vertigineux sommets sans rencontrer le moindre problème d’intonation et de souffle. Bref, on reste bouche-bée, tant la performance est accomplie et l’effort insensible. De son côté, après son éblouissante Isabella (L’Italiana in Algeri) il y a deux ans in loco, la mezzo française Aude Extremo remporte un même triomphe personnel dans le rôle travesti d’Arsace, dont elle esquisse la fière assurance avec une grande maîtrise de la technique belcantiste. Et si quelques graves sont un peu trop poitrinés à notre goût, on n'en demeure pas moins émerveillé par la précision de la colorature, et l’équilibre parfait de son mezzo rayonnant. Rajoutons que leur duo fonctionne à merveille, et l’émission projetée avec clarté de la première offre une réplique idéale aux sonorités dans la gorge de la seconde. On rêve de les retrouver ensemble dans un autre des opéras dramatiques de Rossini.

Dans des rôles de moindre importance, les comprimari tiennent leur rang, à commencer par la basse monégasque Thomas Dear (Oroe) dont la belle projection et les graves abyssaux captent l’attention du public à chacune de ses apparitions sur scène. Citons encore l’Azema à la voix pleine de fraîcheur de Jennifer Michel, le Mitrane bien chantant de Camille Tresmontant, et saluons enfin, pour sa vaillance sans faille, un Chœur Lyrique Saint-Etienne-Loire digne de tous les éloges.

Grand habitué de la fosse du Grand-Théâtre Massenet, le chef italien Giuseppe Grazioli confère toute sa cohérence au chef d’œuvre de Rossini, en adoptant des rythmes rapides et en parant les mélodies de coloris nocturnes. Il est pour beaucoup dans la réussite de la soirée qui, malgré le handicap d’une mise en scène paresseuse et de voix masculines défaillantes, remporte un franc succès auprès du public stéphanois. 

Emmanuel Andrieu

Semiramide de Gioacchino Rossini à l’Opéra de Saint-Etienne, jusqu’au 6 mars 2018

Crédit photographique © Cyrille Cauvet
 

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