Elisabetta, Regina d'Inghilterra de Rossini : une rareté (tronquée) au Théâtre Royal de La Monnaie

Xl_s._romanovsky_dans_elisabetta___la_monnaie © Hugo Segers

Las, le pastiche intitulé Bastarda ! qui devait s’étaler sur deux soirées au Théâtre Royal de La Monnaie d’après la tétralogie de Gaetano Donizetti consacrée à Elisabeth Ire (Elisabetta al castello di Kenilworth, Anna Bolena, Maria Stuarda et Roberto Devereux) n’aura pas lieu du fait des contraintes sanitaires en vigueur, et se voit repoussé au printemps 2023. En lieu et place, deux autres opéras ont été donnés en version de concert (et malheureusement sous un format tronqué pour respecter les 1H30 maximum de concert exigées par ces mêmes contraintes...) : Elisabetta, Regina d’Inghilterra de Gioacchino Rossini (le 11 mars) et La Favorita de Gaetano Donizetti (le 12, nous y reviendrons...), qui ont permis de rester dans le répertoire belcantiste et surtout de conserver la même équipe artistique. 

Au-delà de sa rareté sur les scènes, nombreuses sont les raisons qui amènent à considérer avec attention le premier ouvrage qui fut créé au Teatro di San Carlo de Naples en octobre 1815. Pour ses débuts à Naples, alors capitale de la musique, Gioacchino Rossini offre pour la première fois à Isabella Colbran, prima donna assoluta du théâtre et sa future épouse, un rôle entièrement bâti sur ses grandes possibilités expressives. Parallèlement, il donnait à deux ténors illustres, Andrea Nozzari et Manuel Garcia, rivaux par le livret et par l’importance identique accordée à leurs airs, la possibilité de s’affronter vocalement et scéniquement. Le livret est davantage familier au mélomane d’aujourd’hui qu’à ceux qui l’entendirent à sa création, car les amours contrariées d’Elisabeth Ire, la reine vierge, furent largement vulgarisées au tournant des années cinquante par une série de films hollywoodiens, dont les mémoires garderont surtout la mémorable interprétation de Bette Davis. Elisabetta ne précède que de quatre mois Il Barbiere, pour lequel le compositeur « reclycera » l’Ouverture et le grand air d’Elisabeth (qui deviendra le « Una voce poco fa » de Rosine).

Prévu pour la mise en scène de Bastarda !, il fallait bien trouver un emploi à Olivier Fredj qui a imaginé l’adjonction d’une fillette (la jeune Nehir Nasret, qui s'exprime en anglais), omniprésente pendant tout le spectacle. C’est par ses yeux que l’on découvre les chanteurs et les musiciens, c’est elle qui remplace les récitatifs et airs coupés en expliquant l’histoire (voire en la commentant), et elle entre même directement en interaction avec les personnages au gré de petites vidéos qui servent de transition entre les principales scènes. Rien de très original, mais le procédé rend plus vivant une version de concert par essence statique.

La représentation est illuminée avant tout par la soprano géorgienne Salomé Jicia, qui offre au rôle-titre sa technique confondante d’aisance et de justesse. Rien ne semble lui échapper dans la virtuosité des vocalises, ni dans le phrasé des airs, ni dans l’élégance de la ligne, même lorsqu’elle essaie de donner une certaine autorité aux accents plus dramatiques sans pour autant détruire la pureté de son timbre. Dans le rôle de Matilde, pâle rivale écossaise d’Elisabetta et fille cachée de Marie Stuart, la soprano néerlandaise Lenneke Ruiten continue d’impressionner (après ses acrobaties mozartiennes dans ce même théâtre il y a trois semaines), et se joue des difficultés de sa partie, tout en se montrant par ailleurs fort émouvante.

Après son Rodrigo (La Donna del Lago à Marseille), son Idreno (Semiramide à Venise) ou son Rinaldo (Armida à Montpellier), le ténor sicilien Enea Scala (qui nous a accordé une interview) ne cesse de nous surprendre dans les emplois taillés sur mesure par Rossini à l’intention de Nozzari. Le bas du registre est bien celui exigé par une voix de baritenore (qu’il possède). La largeur et la franchise des aigus, ses capacités d’expression et sa netteté d’articulation, plus le mélange de lyrisme et de virtuosité, parachèvent la réussite de son exceptionnelle prestation. Quel dommage, dès lors, que son rôle soit réduit à une portion congrue, puisqu’il voit son air d’ouverture (« Piu lieta, piu bella ») et son duo avec Elisabetta (« Perché mai, destin crudele ») supprimés, et qu’il ne lui reste pour briller que sa grande ariaDeh troncate i ceppi suoi ») et son duo avec Leicester (« Deh scusa i trasporti ») ! Il n’a pas de mal à voler la vedette au Primo tenore qu’est Leicester, ici défendu par le ténor russe Sergey Romanovsky, dont le registre haut a maille à partir avec une sorte de plafond de verre, quand il ne joue pas dangereusement avec la justesse. On ne peut en revanche pas lui enlever la suavité du timbre, non plus que la noblesse du style.

Quant à la direction du jeune chef italien Francesco Lanzillotta, placé à la tête d’un excellent Orchestre Symphonique de La Monnaie, elle s’avère tout simplement superbe, d’une théâtralité et d’un instinct narratif plus qu’appréciables : soin du timbre orchestral, relief instrumental (avec des bois souples et des archets limpides), transparence et dynamique admirables. Le subtil réseau de tonalités et d’harmonies conçues par Rossini pour ses débuts napolitains en sort ici grandi comme jamais.

Emmanuel Andrieu

Elisabetta, Regina d’Inghilterra de Gioacchino Rossini en Streaming (payant) sur le site du Théâtre Royal de La Monnaie de Bruxelles, jusqu’au 18 mars 2021

Crédit photographique © Hugo Segers

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