Brillamment défendue, Giovanna d'Arco de Verdi entre au répertoire de l'Opéra de Marseille

Xl_giovanna_d_arco_de_verdi___l_op_ra_de_marseille © Christian Dresse

Alors qu’au même moment l’Opéra de Dijon redonne sa chance à Stiffelio, c’est Giovanna d’Arco, un autre opéra de jeunesse de Giuseppe Verdi, tout aussi rarement donné, que l’Opéra de Marseille fait entrer à son répertoire – en version de concert, choix judicieux comme nous allons nous en expliquer. Car la rareté du titre ne vient pas tant du fait qu’il faut trouver une distribution apte à en relever les défis, mais qu’il est plombé par un livret indigent et grotesque, signé par Temistocle Solera d’après le drame Der Jungfrau von Orleans de Schiller. Si nous savons, en France, que notre héroïne nationale accusée de sorcellerie fût brûlée vive par les Anglais à Rouen, le livret multiplie les fantaisies saugrenues, et ici la Pucelle et Charles VII sont éperdument amoureux l’un de l’autre, Jeanne est livrée à l’ennemi par son père pour laver son honneur, et elle meurt après avoir été blessée au combat… Reste que sans être le plus passionnant, musicalement parlant, des ouvrages des « Années de galère » du compositeur, la partition n’est pas pour autant négligeable, comme en attestent le bouleversant duo père/fille au IV et le somptueux concertato final, et parce que certains de ses aspects annoncent déjà le Verdi de la maturité. 

Tout juste deux semaines après avoir dirigé Elisabetta, Regina d’Inghilterra sur cette même scène, le chef italien Roberto Rizzi-Brignoli se montre aussi excellent dans Verdi que Rossini, à la tête d’un Orchestre philharmonique de Marseille qui semble visiblement heureux d’être conduit par lui ! Dès l’Ouverture, enlevée avec enthousiasme et un sens du rythme exemplaire, il impose une sûreté inébranlable au pupitre qui ne se démentira pas la soirée durant. Sans négliger certains aspects « bucoliques » de la partition (l’air « O fatidica foresta »), il sait communiquer toute la dimension épique de cet opéra encore très marqué par la veine patriotique du Risorgimento dont le versant choral est également superbement défendu par le Chœur de l’Opéra de Marseille, toujours aussi remarquablement préparé par Emmanuel Trenque (qui s’apprête à partir pour La monnaie de Bruxelles exercer son art et son talent).

Dans le rôle-titre, la soprano espagnole Yolanda AuyanetElisabetta (dans Don Carlos) de mémoire in loco en 2017 –, soulève à nouveau l’enthousiasme des Marseillais, grâce à ses grands moyens autant qu’à sa technique belcantiste lui permettant d’assumer avec bonheur les exigences virtuoses de sa partie. La concentration, l’autorité, l’impeccable assurance de la ligne et son impressionnante puissance (même si quelques aigus témoignent d’une certaine stridence) lui assurent un triomphe largement mérité. C’est pourtant son compatriote Juan Jesus Rodriguez qui capte le plus l’attention, dans le rôle de Giacomo (le père de Giovanna), qui est par ailleurs le personnage qui émerge avec le plus de relief et d’humanité. Le baryton andalou, dont on n’est pas près d’oublier, sur cette même scène, les magistrales interprétations des rôles-titres de Macbeth en 2016 puis de Simon Boccanegra en 2018, confirme ce soir qu’il fait partie des plus grands barytons verdiens de notre temps. De son engagement admirable, de son impeccable ligne de chant, de la beauté intrinsèque du timbre, de l’ampleur du phrasé ou du sort fait à chaque mot (notamment dans l’air « Speme al vecchio era una figlia »), on ne sait qu’admirer le plus chez ce chanteur d’exception. Miracle de fraîcheur vocale, après 40 années de carrière, le ténor mexicain Ramon Vargas remplace de la plus luxueuse des manières le ténor chinois Yijie Shi, initialement annoncé. Avec un timbre reconnaissable entre tous, et une technique vocale irréprochable, il triomphe avec éclat d’une tessiture tendue et d’un personnage ingrat. Enfin, ces trois formidables chanteurs sont entourés par les solides Tablot de Sergey Artamonov et Delil de Pierre-Emmanuel Roubet.

Au bilan, une soirée très réussie qui apporte sa pierre à l’interprétation d’une œuvre toujours discutée.

Emmanuel Andrieu

Giovanna d’Arco de Giuseppe Verdi à l’Opéra de Marseille, du 20 au 25 novembre 2022

Crédit photographique © Christian Dresse

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