Le point de vue d’Alain Duault : Stiffelio redécouvert à l'Opéra de Dijon

Xl_stiffelio-opera-de-dijon-2022-alain-duault © Mirco Magliocca

Opéra méconnu, même presque inconnu, Stiffelio de Verdi renait enfin : ainsi, après avoir été donné à l'Opéra national du Rhin, il est maintenant proposé en ce mois de novembre au cinéma dans la collection Viva l’opéra et à l’Opéra de Dijon où il recueille un triomphe. 

Stiffelio, Opéra de Dijon (c) Mirco Magliocca

Composé en 1850, soit entre Luisa Miller et Traviata, l’opéra révèle un Verdi qui a dépassé l’épique patriotique de ses premiers succès pour se concentrer sur la psychologie et qui est en complète possession de ce qui fera son style, sa marque musicale : dès l’Ouverture, avec son magnifique solo de trompette, on est dans cette pâte caractéristique du compositeur de Nabucco, avec son orchestration large mais sans lourdeur, son grain (comme on le dit de la voix), sa souplesse. Mais alors, s’interroge-t-on d’emblée, pourquoi cet opéra a-t-il disparu ? Ce n’est pas du fait de sa musique, superbe, mais de son livret, c’est-à-dire de son thème, de cette situation dramaturgique (issue d’une pièce de Souvestre et Bourgeois créée sans problème, à Paris en 1849) : l’œuvre raconte l’histoire d’un jeune pasteur, Stiffelio, qui découvre que son épouse, Lina, le trompe avec un certain Raffaele ; le père de Lina, Stankar, tuera le séducteur, et Stiffelio, déchiré entre désir de vengeance et nécessité du pardon, choisira, poussé par Jorg, un vieux pasteur, de pardonner à sa femme devant toute la communauté réunie. Mais en 1850, dans l’Italie strictement catholique, proposer le divorce à son épouse puis pardonner son adultère en chaire ne passe pas : c’est un scandale. 

Verdi, qui, avec raison, croyait en sa musique, tentera de la réadapter à un autre livret : cela donnera Aroldo. Mais ce « Stiffelio riscaldato » (Stiffelio réchauffé, ainsi qu’il sera baptisé à sa création en 1857), sera rejeté par le public et disparaitra. Il est donc heureux de retrouver ce Stiffelio dans la chair de sa musique et de son récit, d’autant que ce récit est parfaitement déployé par Bruno Ravella dans une mise en scène tirée au cordeau, inscrite dans un décor austère – l’intérieur d’un temple en bois, dominé par une croix creusée dans les planches et dont la lumière se projette sur le mur pour rappeler la permanence de l’esprit qui plane au-dessus de la communauté. Deux portes, quelques accessoires, mais une direction d’acteurs qui souligne la tension entre les protagonistes et confère toute sa lisibilité à l’œuvre, ce qui est d’autant plus nécessaire que le public ne la connait pas. Quelques éclairages d’un ciel tourmenté, un rideau de pluie, des signes plutôt que des soulignements inutiles : on est constamment porté par le drame et la qualité d’écoute du public dijonnais en est témoin.

Stiffelio, Opéra de Dijon (c) Mirco Magliocca

Debora Waldman - Stiffelio, Opéra de Dijon (c) Mirco Magliocca

D’autant que cette réussite théâtrale se marie à un accomplissement musical quasi parfait. De la distribution réunie, on ne connaissait guère que le Stiffelio de Stefano Secco : malheureusement c’est le seul bémol de l’ensemble. Car si le ténor verdien est scéniquement crédible, sa voix au timbre chaud ne le suit pas. Emission souvent engorgée, ligne instable, aigus serrés, souffle haché, soutien qui se perd : Stefano Secco semble (provisoirement l’espère-t-on) dépassé par un rôle dont la lourdeur, indéniable, le confronte à ses limites. En revanche, tout le reste de la distribution est superlatif, de la touchante Lina d’Erika Beretti, timbre adamantin, voix longue et frémissante, virtuose quand il le faut, ardente toujours, au Stankar de Dario Solari, baryton puissant, aux couleurs résonantes et à l’étoffe soyeuse, avec un cantabile encore belcantiste mais déjà riche de ce que deviendra le baryton-Verdi – et quelle bouleversante émotion dans l’expression de la passion filiale ! Il n’est pas jusqu’aux personnages secondaires qu’on doive saluer, du Raffaele du ténor au timbre clair Raffaele Abete au Jorg de l’impressionnant Önay Köse, à l’émission profonde de basse noble, idéal dans ce rôle d’une sorte de Sarastro verdien.  

Enfin, il faut encore applaudir le chœur de l’Opéra de Dijon, dont la belle homogénéité porte haut le drapeau verdien, « maestro del coro », et l’Orchestre Dijon Bourgogne, éblouissant dans tous ses pupitres, avec des couleurs multiples, une ductilité des bois, une souplesse des cordes, que Debora Waldman sait électriser mais aussi retenir, instillant la fièvre mais aussi en ciselant l’intimité, avec des phrasés déployés qui confirment ses talents de cheffe lyrique.

Une vraie réussite que cette coproduction de l'Opéra national du Rhin et de l'Opéra de Dijon dont on peut espérer qu’elle sera reprise afin de faire connaitre plus largement cette œuvre dont la renaissance est un plaisir qui a enthousiasmé le public et fait honneur à la maison dijonnaise. 

Alain Duault
Dijon, 24 novembre 2022

Stiffelio de Verdi, du 20 au 24 novembre à l'Opéra de Dijon
 

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